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Naviguer et se baigner… Comment éviter que ce bonheur soit de moins en moins accessible dans les plans d’eau du Québec?

Justin saute d’un bateau. Crédit photo : Lina Aarab.

Quoi de plus satisfaisant que de naviguer et de pouvoir sauter du bateau et se baigner pour se rafraichir par une belle journée d’été! Mais, quel bonheur additionnel si l’eau où l’on plonge est transparente au point où l’on voit clairement ses orteils!

Comment éviter que ce bonheur soit de moins en moins accessible dans les plans d’eau du Québec?

Voici une série de facteurs qui influencent la transparence de l’eau et qui rendent celle-ci « turbide » (opaque) à différents niveaux.

Crédit photo : Denise Cloutier.

Matières en suspension

Différentes matières en suspension (MES) peuvent être présentes dans la colonne d’eau. Elles sont d’origine et de nature diverses : elles peuvent y être transportées, autogénérées ou issues du brassage du fond aquatique. Un dénominateur commun : elles transportent des quantités importantes de nutriments qui contribuent à la prolifération d’algues et de plantes aquatiques.

  1. MES transportées : l’érosion des terres agricoles, la contamination bactériologique due aux surverses municipales constituées d’eaux usées non traitées lors de fortes pluies, le ruissellement des eaux pluviales qui lessivent les routes et les stationnements asphaltés, ainsi que l’érosion des berges causée par les vagues d’origine naturelle ou provoquées par des embarcations qui circulent trop près des rives.
  2. MES autogénérées: selon les types des particules qui composent les fonds aquatiques, soient fines (argile) ou grossières (sable et pierre), et selon la quantité d’algues ou de plantes aquatiques présentes. Les matières en suspension augmentent en quantité lorsque les nutriments sont abondants. On observe alors l’augmentation des algues microscopiques (phytoplancton) qui affectent la transparence. La chlorophylle est un indice qui permet de mesurer la présence de phytoplancton dans l’eau. Plus son taux est élevé, plus la quantité d’algues est grande et moins l’eau est transparente. D’un autre côté, les plantes aquatiques permettent aux MES de se sédimenter ou de se déposer.
  3. MES brassées: les matières nutritives et les composés chimiques accumulés au fil des ans dans le lit du plan d’eau sont remis en suspension dans la colonne d’eau chaque fois qu’ils sont brassés, soit par de fortes tempêtes, soit par des embarcations moteur qui circulent en eau peu profonde.

Selon le Protocole de mesure de la transparence de l’eau du Réseau de surveillance volontaire des lacs (RSVL) du Québec :


La transparence est fortement liée à une propriété de l’eau : celle de transmettre la lumière. Plusieurs facteurs peuvent réduire la transparence de l’eau d’un lac. En plus de l’intensité lumineuse, la quantité et la nature des matières et des substances que l’on y trouve jouent un rôle important. Celles-ci peuvent être d’origine minérale (sable, limon, argile et composés chimiques inorganiques) ou organique (algues microscopiques, débris d’organismes et composés chimiques organiques). Ces matières et ces substances peuvent être présentes dans l’eau sous forme particulaire ou dissoute. Bien que plusieurs facteurs puissent influencer la transparence de l’eau, on observe que celle-ci diminue en fonction de l’augmentation de la quantité d’algues en suspension. Puisque la quantité d’algues augmente avec la concentration en matières nutritives, on peut établir un lien entre la transparence de l’eau et l’état d’avancement de l’eutrophisation d’un lac (son niveau trophique).

Source : https://www.environnement.gouv.qc.ca/eau/rsvl/transparence.pdf, page 3


De plus, les matières en suspension qui rendent l’eau plus opaque empêchent la lumière de la traverser. L’eau se réchauffe donc plus rapidement, ce qui peut aussi favoriser une prolifération des algues bleu-vert qui peuvent rendre l’eau toxique. Les matières en suspension constituent donc un important facteur deutrophisation des plans d’eau.

Selon Sylvain Miller, biologiste et cinéaste, parmi le zooplancton, la daphnie, un petit crustacé mesurant autour de 1 mm, est un allié de taille, puisqu’elle filtre une grande quantité d’algues microscopiques.

Crédit photo et vidéo : Sylvain Miller, Daphnies et autres cladocères.

Cependant, avec les effets du changement climatique, la température de l’eau de surface augmente, et on a noté qu’à partir de 27 °C les populations de daphnies diminuent et rendent ainsi le plan d’eau plus vulnérable au « bloom » d’algues, engendrant une baisse de la transparence.

Comment mesure-t-on la transparence de l’eau?

Le Réseau de surveillance des lacs du Québec a produit un Protocole de mesure de la transparence de l’eau où l’on utilise le disque de Secchi à la fosse du lac (partie la plus profonde) pour mesurer la transparence de l’eau.

Disque de Secchi. Crédit photo : André Philippe Hébert.

La transparence varie au cours de la saison en fonction des pluies, de la température et des activités nautiques sur le plan d’eau. Voici deux exemples de mesures prises par les bénévoles sur deux lacs navigables de niveaux trophiques différents.

Mesure de transparence. Crédit photo : André Philippe Hébert.

Le premier est un lac oligotrophe pour l’ensemble de ses paramètres. Par contre, sa transparence diminue considérablement en période d’activité nautique, et le déclasse au niveau oligo-mésotrophe pour ce paramètre. 


Exemple de lac oligotrophe navigable.

Lac Laurel, Lac-des-Seize-Îles, RSVL, https://www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/rsvl/relais/fiches-bilans/2023/Laurel,%20Lac_0304A_2023_SA_SU.html.


 


Exemple de lac mésotrophe navigable.

Lac Brome, RSVL, https://www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/rsvl/relais/fiches-bilans/2023/Brome,%20Lac_0278A_2023_SA_SU.html.


On remarque que la transparence de ces deux lacs a décliné considérablement en période d’activité nautique en 2023. Cette tendance a été observée sur plusieurs années.

Bien que la navigation de plaisance ne soit pas le seul facteur de diminution de la transparence, on peut affirmer qu’elle y contribue. Lorsque les embarcations produisent de grosses vagues, celles-ci érodent les rives. Lorsqu’elles circulent en eau peu profonde, elles brassent les sédiments du lit du lac. Ces deux comportements entraînent le relargage des sédiments dans la colonne d’eau du lac, ce qui provoque l’augmentation des nutriments dans le lac. Plus il y a de nutriments dans le lac, plus les algues prolifèrent et réduisent la transparence.

Si l’on compare l’évolution de la transparence de ces lacs navigables avec celle de lacs non navigables, on voit que la transparence de ces derniers reste relativement stable durant l’été. C’est le cas des deux lacs oligotrophe et méso-eutrophe non navigables ci-dessous.


Exemple de lac oligotrophe non navigable.

Lac Cornu, Mont-Blanc, RSVL, https://www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/rsvl/relais/fiches-bilans/2023/Cornu,%20Lac_0360A_2023_SA_SU.html.


 


Exemple de lac méso-eutrophe non navigable.

Lac Sainte-Marie, La Conception, RSVL, https://www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/rsvl/relais/fiches-bilans/2023/Sainte-Marie,%20Lac_0071A_2023_SA_SU.html.


 On peut donc observer que la transparence des lacs semble affectée par la navigation de plaisance.

En naviguant, est-ce que je peux contribuer à conserver l’eau claire?

La réponse est OUI!

Quel que soit le plan d’eau où l’on circule avec un bateau à moteur générant de puissantes vagues, il est scientifiquement prouvé qu’il faut naviguer à plus de 300 mètres des rives pour éviter l’érosion des berges (Mercier-Blais et Prairie 2014) et sur une profondeur de plus de 7 mètres du lit du plan d’eau pour ne pas brasser les sédiments (Raymond, Galvez 2017). Ces études ont été réalisées en calculant l’impact d’un bateau de type wakeboat. On peut les trouver sur le site de la Coalition Navigation.

Crédit photo : Denise Cloutier.

On a vu que la transparence de l’eau dépend, entre autres, de nos comportements en tant que navigateurs. Si nous voulons que nos petits-enfants et les leurs puissent se baigner dans une eau claire, si nous voulons protéger la biodiversité des plans d’eau, à nous de jouer pour préserver la transparence de l’eau tout en naviguant.

Crédit photo : Denise Cloutier.

Remerciements :

Nous remercions le Réseau de surveillance volontaire des lacs du MELCCFP qui analyse et rend disponibles au grand public les données de qualité de l’eau recueillies par les milliers de bénévoles de nombreux lacs du Québec.

Nous remercions Sylvain Miller, biologiste et cinéaste, qui nous permet de voir en action sur sa chaîne YouTube les microorganismes et la biodiversité présents dans les lacs.

Nous remercions le COBAMIL qui a produit les animations qui nous permettent de mieux comprendre l’érosion et la contamination bactériologique.

Par Denise Cloutier pour la Coalition Navigation

*Cet article a été publié dans le magazine numérique Été 2024 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!