Les aléas d’un achat outremer
Qui n’a pas rêvé de naviguer en Méditerranée sur son propre voilier? Pour y arriver, deux possibilités s’offrent à vous : soit traverser votre bateau, soit l’acheter sur place. Avec une bonne dose d’audace, Hilda et moi avons opté pour un achat… en Croatie! Voici notre histoire…
L’idée a germé en 2006 alors que nous avions réorganisé un voyage d’affaires en Allemagne, annulé à la dernière minute, en une croisière de rêve dans les îles grecques, au départ de l’île de Rhodes. Complètement séduits par cette première expérience, nous sommes retournés l’année suivante dans les Cyclades pour compléter nos cartes de compétence et poursuivre seuls notre croisière sur un Bénéteau 37, loué en formule charter. Par la suite, chaque année, à raison de quatre semaines, nous avons loué sans capitaine des Jeanneau de 42 à 45 pieds en Turquie, en Croatie et en Italie, chaque fois propulsés un peu plus loin dans notre désir de faire campagne en Méditerranée. Nous étions émerveillés par la diversité des cultures, inspirés par l’histoire, la beauté des paysages, stimulés par les défis de la mer et la variété des mouillages dans l’atmosphère unique et combien inspirante de la culture méditerranéenne.
Et que dire de la cuisine méditerranéenne, toute simple mais combien savoureuse, à base de poissons grillés fraîchement pêchés, d’huile d’olive, de fruits et de légumes frais, de produits de la ferme, de vins élevés localement et de fines herbes cueillies à l’état sauvage!
Avec cet objectif en tête, nous avons mis la maison en vente pour nous réfugier dans notre condo au pied de Tremblant et dégager le comptant nécessaire à l’achat du voilier. Il aura fallu deux ans et quelques mois pour vendre la maison. Pas facile de vendre une maison ancestrale classée monument historique!
Le 1er septembre 2010, nous amorcions notre magasinage en visitant les nombreux sites Web et les courtiers maritimes affichant des centaines, voire des milliers de voiliers à vendre. Le choix dépassait nos attentes et nos connaissances. Des voiliers offerts à des prix allant facilement du simple au double, présentés avec une abondance de détails et de photos toutes plus alléchantes les unes que les autres.
Une fois nos critères arrêtés, nous sommes arrivés à resserrer nos recherches autour des marques les plus populaires afin de préserver la valeur de revente (eh oui, il faut penser à la sortie dès l’entrée si on ne veut pas trop souffrir de la dévaluation!) et un format à la fois confortable, sécuritaire et abordable pour un couple prévoyant passer quatre à six mois par année à bord.
Les marques : Bénéteau, Jeanneau, Dufour. Il y avait aussi Grand Soleil, Bavaria, Comet et quelques autres. Le format : 42-45. L’âge : 2000-2009. Les autres considérations : voilier utilisé par son propriétaire, bien équipé, bien entretenu et en bon état. Idéalement avec taxes non payées, ce qui a comme avantage d’économiser entre 20 et 23 % sur le prix de vente et de se doter, à la revente d’un marché d’acheteurs internationaux plus large, d’un avantage non négligeable lorsque le marché est lent. La difficulté toutefois réside dans le fait que la grande majorité de ces voiliers offerts sans taxes sont issus de locateurs tels que Moorings, Sunsail, Vernhicos, Kiriacoulis et les autres. Ces voiliers sont loués entre 20 et 25 semaines par année et ont subi, au cours des quatre ou cinq années en service, les abus d’équipages très souvent peu expérimentés. Ils affichent généralement 4000 heures et plus au moteur, comportent des surprises plus ou moins coûteuses et une usure parfois excessive, difficile d’ailleurs à détecter étant donné qu’au terme de leur vie utile, ils sont bien préparés, pour ne pas dire « maquillés » pour la revente.
Conseillés par un courtier du Royaume-Uni avec lequel nous avions développé une relation de confiance au cours de nos années de location de voiliers, nous invitons un courtier croate affilié à une maison de courtage maritime des Pays-Bas à nous faire quelques propositions cadrant avec nos critères. Pas question d’acheter sur papier! Il nous propose de le rejoindre à Split pour une visite d’une dizaine de voiliers dont il nous envoie les « pedigrees » à l’avance. Au cours de nos échanges de courriels, nous finalisons notre sélection et convenons d’un parcours pour visiter ces bateaux. Il nous faudra une semaine pour couvrir la sélection de sept voiliers et conduire une inspection par un professionnel local certifié avec lequel nous faisons des arrangements préalables dans l’éventualité où nous trouverions la perle rare.
Jusque-là, c’est une pure partie de plaisir. Accueillis à l’aéroport de Split par Mihael, notre courtier, nous entamons dès le lendemain nos visites en rafales à raison d’une ou deux par jour selon les distances à parcourir. Nous prenons soin de nous réserver deux jours à la fin dans le but de mener une inspection à tout le moins partielle par l’inspecteur accrédité avec lequel nous avions fait des arrangements.
Météo impeccable en ce mois d’avril, déplacements agréables, les routes de Croatie étant de belle facture. Les limites de vitesse à 130 km/h tolérant facilement 150 km/h nous permettent de parcourir près de 2000 km et de couvrir l’inventaire complet en moins de cinq jours, nous laissant ainsi deux jours pour nous assurer de notre choix et effectuer les négociations et inspections nécessaires avant notre retour au Québec.
Notre choix se porte sur un Jeanneau Sun Odyssey DS 43 2003, version propriétaire, appartenant à un dépositaire Jeanneau du Brésil, acheté au chantier maritime pour son usage personnel. Le voilier a deux traversées à son crédit, offre un inventaire d’équipement complet incluant un grand spi asymétrique, Yanmar de 75 ch avec moins de 2000 heures au compteur, hélice Max Prop, ancre Spade, pont teck et coque bleue. L’intérieur grand confort, trois cabines modulables en deux, deux salles de bain avec douche très spacieuse, la luminosité et la vue extérieure d’un vrai salon de pont, climatisation, chauffage, génératrice 6 kW avec seulement 300 heures au compteur, monté en 110 V avec convertisseur. C’était au-delà de nos attentes!
Sachant que nous aurons à remplacer les voiles et les toiles, nous faisons une offre en conséquence et concluons une entente le jour même. Notre courtier du Royaume-Uni nous aura rejoints pour l’occasion afin de nous conseiller sur l’ensemble de la démarche. Ses conseils se sont avérés bénéfiques et nous auront permis de valider notre choix. Il nous aura fait économiser plus de 10 000 € en dépenses ultérieures, en plus de nous éviter des embêtements futurs reliés à des erreurs d’identification du voilier dans les papiers d’enregistrement officiels.
Là ne s’arrête toutefois pas la démarche d’acquisition. Une fois l’euphorie de notre décision d’acquisition passée, il faut passer à la caisse et au processus de transfert des papiers officiels et d’enregistrement de titres au Canada.
La partie de plaisir se transforme en guerre des nerfs. Imaginez la procédure : le courtier croate agit à titre de notaire; il reçoit et place le dépôt de 10 % en fidéicommis jusqu’à ce que le rapport complet d’inspection soit soumis par l’inspecteur accrédité et accepté par les parties concernées. Délai : deux semaines.
Ensuite, nous devons payer le solde du prix de vente en totalité (toujours versé au compte en fidéicommis du courtier représentant le vendeur!) avant que le voilier soit « désenregistré » des registres de son pays d’origine, soit Gibraltar, passage obligé pour qu’il puisse être réenregistré au Canada.
Au 15 mai, notre acquisition est payée en totalité par transfert bancaire effectué avec beaucoup d’hésitation par notre institution bancaire! Partant de là, reste à obtenir les documents officiels, responsabilité du courtier croate. Faudra patienter huit semaines!
L’attente est rendue pénible par le fait que…
- Le vendeur est un agent brésilien résidant à Paris;
- Son entreprise exige que la vente soit entérinée par deux administrateurs;
- Le voilier est basé à Pula, en Croatie, et enregistré à Gibraltar;
- Le courtier est basé à Split en Croatie;
- La maison de courtage responsable du compte en fidéicommis est à Amsterdam, aux Pays-Bas.
Advenant la défection de l’une ou l’autre des parties, une éventuelle poursuite en recouvrement aurait été pénible et même peut-être complètement inutile. Sans compter qu’il n’est pas rare de voir les temps d’attente pour la production des documents se compter en semaines et parfois en mois.
Ce n’est que le 15 juillet que nous sommes avisés de la livraison imminente des documents. Faudra attendre une autre semaine pour obtenir les documents nécessaires pour procéder à l’enregistrement de notre voilier au port de Montréal. Nous partons le 4 août suivant avec les titres en bonne et due forme, obtenus la veille de notre départ! Nous étions sous la bonne étoile.
Arrivés à Pula, nous sommes accueillis par Slaven, responsable de la surveillance et de l’entretien en notre absence de notre voilier renommé Dance Me.
Deux semaines auront suffi pour remplacer les voiles, les toiles, les batteries maison ainsi que le système de son et mettre la dernière touche aux préparatifs Notre séjour de trois mois aura comporté deux semaines de préparation à la croisière, une semaine de préparation à l’hivernage, neuf semaines de voile, 1050 milles nautiques et plus d’une cinquantaine d’escales formidables.
Dance Me s’avère très confortable, sécuritaire, performant et facile à manœuvrer en mer comme à l’accostage, même dans les ports étroits et les marinas encombrées, caractéristiques de la Méditerranée. Il dépasse nos attentes!
À retenir :
- L’acquisition d’un voilier en Méditerranée, que ce soit en France, en Espagne, en Grèce, en Croatie ou en Italie, demeure un processus long et complexe. Soyez vigilant, armez-vous de patience et prévoyez six mois.
- Les Croates méritent notre respect pour leur intégrité. Il faut cependant opter pour des firmes de courtage réputées et avoir le courage de leur faire confiance, car les Croates sont par ailleurs peu loquaces et laisseront vos courriels sans réponse s’ils n’ont rien à dire. Dur, dur sur les nerfs, surtout lorsque les documents officiels tardent à venir!
- Le marché est à l’avantage des acheteurs vu le contexte économique et l’ampleur de l’inventaire de voiliers à vendre, mais l’inspection par un professionnel accrédité est de mise.
- L’achat d’un voilier ayant servi de charter est beaucoup moins onéreux, mais il comporte ses risques. Prévoyez au moins 10 % de la valeur d’achat en réparations additionnelles et vérifiez le sérieux de la compagnie de charter.
- Attention aux voiliers trop grands, car la majorité des ports de mer construits à l’époque médiévale et les marinas datant d’avant 1990 ont été aménagés pour des navires de 10 mètres ou 33 pieds, ce qui rend l’accès aux voiliers de grande taille difficile, voire impossible dans certains cas. Les voiliers de 13 ou 14 mètres s’avèrent de bon compromis, surtout s’ils sont équipés d’un propulseur d‘étrave.
- L’embauche d’un conseiller maritime canadien peut s’avérer une protection additionnelle non négligeable. À prévoir toutefois avant le dépôt de l’offre d’achat.
- Nous estimons avoir réalisé une économie d’environ 30 à 40 % à l’achat, en comparaison d’un voilier équivalent aux É.-U. ou dans les îles du Sud.
- La Méditerranée est recommandée aux marins qui recherchent la diversité, l’histoire, la richesse culturelle, la navigation sportive et à vue.
Hilda et Jacques sur Dance Me
Hilda et Jacques naviguent en Méditerranée depuis 2005. Pour tout commentaire ou toute information supplémentaire, n’hésitez pas à leur écrire à l’adresse suivante : j.chalifour@chalifourcom.com.
Par Jacques Chalifour
Photos : Hilda Luyt
Ce texte a été publié dans le magazine Été 2013 de Québec Yachting.