Fascinante croisière aux Marquises à bord de l’Aranui 3
De retour de l’éden marquisien situé à 1500 km au nord-est de Tahiti, encore sous l’effet euphorisant de la plus insolite des croisières, subjuguée par la grandiose beauté sauvage de ces îles du Pacifique Sud, les plus éloignées de tous les continents, j’arrive à Montréal après 20 heures de déplacements, passant de +32 oC à -12 oC. Contrastante réalité climatique…
Nul doute, ce voyage aux Marquises sur « la terre des hommes » en compagnie de 140 passagers et de 70 membres d’équipage, tous amoureux de navigation et grands voyageurs, fut un coup de cœur fabuleux, en parfaite harmonie avec la nature et loin des hordes de touristes. De Papetee (Tahiti) sur l’Aranui 3 « le grand chemin », un cargo mixte qui cabote entre les îles Marquises avec du fret et des passagers, deux semaines se sont écoulées, ponctuées de découvertes culturelles insolites, de paysages grandioses, de délicieux repas marquisiens, de fruits savoureux, d’effluves de tiaré, de chants et danses maoris, et ce, accompagnés par des guides dédiés et amicaux. Le bonheur!
Une croisière unique en son genre!
Les passagers, de nationalités et classes sociales différentes, se côtoient sur le navire en toute convivialité et avec humour. Les matelots et les officiers polynésiens discutent gentiment en français, nous invitant à monter sur la passerelle de commandement lors des manœuvres. Les touristes japonaises s’y rendent durant la nuit pour observer les constellations d’étoiles, notamment la Croix du Sud. Inoubliables soirées sur le pont avec l’Aranui Band, l’orchestre des matelots qui nous offre un spectacle musical rythmé aux sonorités marquisiennes. L’utilisation de la piscine, du salon ou du pont, le bar, les soirées polynésiennes, les conférences, les cours de danse, de tressage de feuilles de palme, le tatouage, le paréo : bref, toutes les activités proposées comblent nos attentes.
Des excursions captivantes
Deux journées en mer et une douzaine d’escales, où l’équipage décharge des denrées essentielles, souvent à force de bras, et récupère la récolte de coprah (noix de coco séchée) et les fruits, rythment notre emploi du temps. Ce sont jusqu’à 2500 tonnes de denrées et de matériel qui circulent ainsi. Les insulaires viennent prendre livraison de leurs commandes et apportent la marchandise à expédier aux quais, pendant que nous visitons l’île. À tous les débarcadères, ce va-et-vient anime le paysage ambiant, en plus des rires et des jeux d’enfants qui nous charment. Parler en toute simplicité avec les Marquisiens en français est un vrai plaisir. Ils sont chaleureux, sans être blasés par le tourisme de masse. Des chants et des danses typiques sont exécutés pour nous. Les traditionnelles couronnes et superbes colliers de fleurs de tiaré odorantes, fraîchement confectionnés, ornent la tête des femmes qui nous accueillent en nous remettant des fleurs. Des œuvres raffinées de bois sculpté, des tikis, herminettes, jattes, tapas (étoffes de bois peintes), coquillages nacrés, feuilles de palmiers tressées, os de boeufs ciselés, perles cultivées (à Rangiroa, dans les îles Tuamotus), l’huile de coco parfumée (monoï), la vanille et le gingembre nous sont aimablement proposés par les artisans, tandis que nous assistons à l’occasion à des démonstrations de confections artisanales.
Les barges rudimentaires ou les baleinières dans lesquelles nous embarquons pour nous rendre à terre avec l’aide des puissants matelots de l’Aranui accentuent le charme rudimentaire de cette aventure. À certains endroits, des chauffeurs de véhicules à quatre roues motrices nous emmènent sur les routes sinueuses vers les sites archéologiques, où un guide nous décrit les cérémonies ancestrales sacrées. Marche en montagne, cueillant fleurs et fruits au gré de notre fantaisie, pour finalement découvrir des panoramas à couper le souffle! La Compagnie polynésienne de transport maritime (CPTM), propriétaire de l’Aranui, ne laisse rien au hasard et veut assurer le maximum de sécurité en mettant à notre disposition un sympathique médecin dans toutes les excursions et sur le bateau. Portant un sac à dos contenant un défibrillateur et tout le nécessaire d’urgence pesant plus d’une quinzaine de kilos, il garde toujours le sourire. Aucun problème médical n’est heureusement survenu durant ces excursions journalières et pique-niques à la plage.
Un archipel qui a gardé son caractère
Faisant partie du territoire français de Polynésie (grand comme toute l’Europe), c’est l’archipel le plus éloigné de tous les continents. Six de ses douze îles sont habitées. Sa formation volcanique date de 2,5 millions d’années. De profondes vallées encaissées entre des pics élancés et de gigantesques falaises de basalte de plusieurs centaines de mètres, qui tombent à pic dans la mer, nous laissent entrevoir les petites chèvres se baladant au sommet… Des aiguilles qui sortent de terre, telles des stalactites s’évaporant dans les nuages; bref, une vue imprenable et pure. La population, originaire de la Chine du Sud, serait arrivée il y a 4000 ans en faisant un arrêt dans les îles Samoa et Tonga, et probablement en séjournant sur l’île de Pâques. Puis, en 1595, une flottille espagnole, envoyée par le vice-roi du Pérou, Garcia Hurtado de Mendoza, leur donna le nom de Marquises en souvenir de la marquise de Mendoza. James Cook y aborde, lors de son second voyage en 1774. Étienne Marchand arrive par la suite dans les îles du Nord et prend possession de l’archipel au nom du roi de France Louis XVI, en 1791.
La civilisation marquisienne a failli s’éteindre complètement quelques décennies après le début de la colonisation française, en 1850. Quoique plusieurs lieux sacrés bien préservés aient été découverts par les archéologues, beaucoup de questions demeurent en suspens. On sait toutefois qu’ils étaient d’excellents marins naviguant sur leurs grandes pirogues doubles à balancier, grées d’une voile triangulaire en pandanus (l’ancêtre du catamaran moderne). Ils se guidaient grâce à leurs connaissances en astronomie pour se déplacer d’île en île. Les guerres entre tribus étaient nombreuses et on y pratiquait le cannibalisme, le tatouage intégral et les sacrifices humains. Les têtes des ennemis capturés étaient conservées en les agrémentant d’ornements. Le tatouage, revenu en force depuis les années 1980, ainsi que les langues marquisiennes et les danses avaient été bannis par les missionnaires catholiques. Plusieurs croisiéristes ont profité des services d’un tatoueur sur le bateau pour immortaliser leur passage aux Marquises. L’ancienne société, très hiérarchisée et démocratique, s’organisait en assemblées décisionnelles dans des lieux particuliers, le « tohua », dont nous avons visité quelques imposants vestiges. Les « tikis », d’énormes sculptures de pierre au pouvoir bénéfique, y trônent, comme des dieux bienveillants. Des pétroglyphes représentant des oiseaux, des poissons et plus spécialement des tortues, qui symbolisaient la capacité de transition du monde marin au monde terrestre, ont aussi été découverts.
Convertis jadis par les missionnaires catholiques, la majorité des Marquisiens sont encore très pratiquants et, dans chaque village, une église décorée de magnifiques œuvres de bois sculpté témoigne du talent des artisans locaux. Des religieuses enseignent aux enfants. Les chevaux et les coqs vagabondent en toute liberté. Les habitants partent à l’occasion à la chasse aux cochons à cheval, encore très utilisé pour se déplacer. Nous avons mangé au restaurant « Chez Yvonne », à Nuku Hiva, un repas authentique de cochon grillé sous la braise, accompagné de bananes rouges cuites et de thon cru mariné au lait de coco et au citron. Exquis! Partout, les musiciens sont présents et rythment l’ambiance, tradition oblige… la télévision n’ayant fait son apparition ici qu’en 1983 et étant encore peu utilisée!
Un Aranui 5 pour 2015
Dix-sept fois par an, en partance de Papeete, l’Aranui est au rendez-vous dans les Marquises. C’est l’un des rares bateaux sur la planète à faire ce genre de navigation mixte. Il appartient à la famille Wong, originaire de Chine et établie à Papeete depuis plusieurs générations. Venue à Tahiti pour cultiver la canne à sucre, la famille s’est rapidement dédiée au transport maritime. Le premier Aranui de la lignée date de 1960. On l’appelle encore la « goélette » et il est un véritable cordon ombilical indispensable entre les Marquises et Tahiti. En 1986, on ajouta le volet passager au transport de fret. Après l’Aranui 1 et 2, le 3 a été construit en 2002, en Roumanie. Il sera remplacé, vers la fin de 2015, par l’Aranui 5, plus long et plus large, comprenant 228 cabines et 103 membres d’équipage. Cela coïncidera avec le très attendu Festival des Marquises de décembre 2015 qui se tiendra à Hiva Oa. L’ingénieur roumain, présent à tous les voyages, nous a dévoilé ce nouveau bateau de facture très moderne. Il gardera sa vocation actuelle de transport de fret et de passagers. Construit en Chine, il ajoutera plus de confort aux passagers, avec notamment plus de cabines pourvues de balcons et des bars plus spacieux.
Les escales
Takapoto (500 habitants)
Après une journée en mer, à 560 km à l’est de Tahiti, l’aventure débute par un pique-nique sur la plage et une baignade dans cette île de l’archipel des Tuamotus, sur la route des Marquises.
Nuku Hiva (2600 habitants)
Le centre administratif (guichet automatique, boutiques artisanales, Internet) et la plus grande île des Marquises. La baie de Taiohae, en forme d’amphithéâtre et entourée de pics, nous accueille. Visite de la cathédrale aux œuvres de bois sculpté. Balade en véhicule à quatre roues motrices jusqu’aux sites archéologiques de la tribu des Taipi. Déjeuner au restaurant « Chez Yvonne » avec l’ouverture du four marquisien « umu ». Marche en montagne jusqu’à la magnifique baie d’Anaho.
Ua Pou (2300 habitants)
Belle surprise! Petit-déjeuner en danse et musique traditionnelle avant la première sortie. Marche jusqu’à la croix qui surplombe le village d’Hakahau et sa plage d’Anaho. La vue des pics pointant vers le ciel nous sidère par leur modelé fuselé.
Hiva Oa (2500 habitants) – Le refuge de deux artistes célèbres
De célèbres écrivains ont séjourné aux Marquises, notamment Herman Melville (Taïpi) et Robert-Louis Stevenson (L’île aux trésors). Les plus marquants sont Paul Gauguin qui y décéda à 55 ans, en 1903. Il y a peint ses plus belles toiles. Le chanteur-compositeur Jacques Brel, mort à 49 ans, en 1978, arrivé sur son voilier l’Askoy quelques années plus tôt, s’arrêta ici pour y fuir les contraintes de la notoriété, sans que cela ait été prémédité avant son départ de Belgique. Il fut séduit par cette vie marquisienne d’une intensité naturelle et inspirante. Tous les deux sont enterrés en flanc de colline au cimetière du Calvaire d’Atuona, à Hiva Oa. Plusieurs admirateurs font cette croisière sur les traces de Jacques Brel, qui demeure très présent dans la mémoire des Marquisiens. « L’espace Jacques Brel », qui a été érigé en 2003, est très touchant. On peut voir, dans un immense hangar, l’avion immobile qu’il pilotait, des photos, ses compositions, tout en écoutant ses chansons jouer en boucle. Il a assisté les Marquisiens de plusieurs façons, notamment en les transportant dans les hôpitaux ou à l’école avec son avion. La propriétaire du restaurant « Hoa Nui » où Jacques Brel avait l’habitude de dîner, Marie-Victorine, 89 ans, se remémore les soirées où elle dansait avec lui et le grand privilège qu’elle a eu de visiter son fils en Australie, transportée par Jacques Brel aux commandes de son avion. Quant à Paul Gauguin, qui fut l’enfant terrible de l’île prenant cause auprès des Marquisiens contre les gendarmes français, sa maison « La maison du Jouir » a été reconstruite à l’endroit précis où elle avait été bâtie en 1903, tout comme son puits où il cachait ses bouteilles d’absinthe et ses seringues. Le puits a été remis dans son état original après un bon ménage. Des reproductions de ses toiles sont présentées dans un musée adjacent. Ces deux grands artistes ont renoncé à la civilisation occidentale au profit d’une vie simple et de la beauté de cette île isolée. Gauguin a produit ses toiles les plus connues durant les quatre années où il y resta, tandis que Brel, qui y séjourna durant ses trois dernières années, y composa son album Les Marquises en s’inspirant de l’ambiance de ces îles lointaines où « Gémir n’est pas de mise » comme il le disait si bien dans sa chanson. Très ami avec M. Guy Rouzy, maire de la commune à cette époque, Brel a fait découvrir le cinéma aux villageois en projetant des films sur la place publique. Nous nous sommes rendus près du terrain où il avait projeté de construire sa future maison, sur les hauteurs de la baie d’Atuona, mais la mort l’a rattrapée trop vite pour qu’il puisse réaliser son rêve.
Fatu Hiva (500 habitants)
Île très luxuriante, la plus au sud et la plus isolée de l’archipel marquisien avec ses vallées mystérieuses et ses pics vertigineux, Fatu Hiva est ensorcelante. Il y a des fruits en abondance : bananes, pamplemousses, mangues, avocats, citrons verts, etc. Au village d’Omoa, on assiste à la fabrication des tapas, un art ancestral exclusivement fait par les femmes.
Présentation d’un spectacle de danse au village d’Hanavave et coucher de soleil sur l’une des plus belles baies au monde : la baie des Vierges, autrefois nommée « baie des Verges ». Exquis.
Tahuata (700 habitants)
Messe à l’église catholique Notre-Dame-de-l’Enfant-Jésus, à Vaitahu, tout en chansons mélodieuses marquisiennes. Spécialité artisanale de l’île : la sculpture sur os. En après-midi, BBQ sur une plage isolée de sable blanc avec plongée tuba, où l’on voit de multiples poissons tropicaux dans une mer turquoise.
Ua Huka (2000 habitants)
Île très aride où vivent de nombreux chevaux sauvages. Spectacle de danse magnifique face à la mer. Musée de Vaipaee. Centre d’artisanat spécialisé en bois sculpté. Déjeuner au restaurant Hane. L’ancien maire de la commune, qui a été élu durant plus de 30 ans, s’occupe maintenant avec fierté de son arboretum, créé en 1995, qui s’étend sur 17 hectares. Des centaines d’espèces d’arbres fruitiers et d’agrumes y ont été plantés et nous avons pu y déguster des fruits tropicaux savoureux. Baignade à la plage en fin d’après-midi. Retour dans une baleinière sur l’Aranui 3.
Rangiroa (2500 habitants)
Plongée sous-marine dans le plus grand lagon des atolls de Polynésie, avec une multitude de poissons tropicaux (raies, requins, etc.). Visite d’une ferme perlière où sont élevées les fameuses perles noires. Baignade et pique-nique sur la plage. Rencontre d’un Québécois de Trois-Rivières, décidé à s’installer ici après avoir liquidé ses avoirs au Québec. (On comprend pourquoi!)
Les 3580 kilomètres parcourus durant cette fabuleuse croisière sur l’Aranui 3, nous les garderons à jamais en mémoire, tels des souvenirs intenses et merveilleux. Une rencontre exceptionnelle avec les habitants de la « Terre des hommes », appellation légendaire de la création des îles Marquises par les dieux.
Renseignements utiles
À quels types de voyageurs s’adresse cette croisière?
Une assez bonne forme physique est recommandée lors des excursions. Aucun vaccin n’est nécessaire. Amoureux d’exotisme, de nature, de passionnantes découvertes et, surtout, de vie maritime, vous serez comblés au-delà de vos espérances!
Pour plus d’information, consultez le site : aranui.com
*Remerciements à la Compagnie polynésienne de transport maritime (CPTM) et à Air Tahiti Nui pour les frais du transport maritime et aérien, qui ont rendu possible ce reportage.
Par Monique Reeves
*Ce reportage a été publié dans le magazine Printemps 2015 de Québec Yachting.