Un rendez-vous manqué avec l’Histoire, mais une sécurité marine accrue
J’ai eu l’occasion à l’été 2014 de faire partie d’une équipe d’hydrographes du Service hydrographique du Canada pour le sondage des eaux arctiques canadiennes et la recherche des deux bateaux ayant servi à l’expédition de 1845 de Franklin dans le détroit de Victoria. Ma chronique portera sur cette expérience, mais n’ayez aucune crainte, je ne me considère pas un expert des sujets portant sur l’Arctique. Je n’ai qu’une meilleure perception du Nord à partir de mes trois semaines de sondage hydrographique.
Ce projet de rajeunissement des données hydrographiques a commencé en 2008 et regroupe les ministères de Pêches et Océans du Canada, Parcs Canada, de la Défense nationale et d’autres organismes. La Garde côtière canadienne a fourni, cette année, le brise-glace NGCC Sir Wilfrid Laurier, la Réserve navale le NCSM Kingston (navire canadien de défense côtière) et le Service hydrographique du Canada les vedettes hydrographiques de 7 m (23 pi) Kinglett et Gannet. Personnellement, j’ai travaillé sur le NCSM Kingston.
Mon point de rencontre avec le NCSM Kingston s’est fait au village d’Arctic Bay, au nord de la Terre de Baffin, le 25 août 2014, afin de répondre aux besoins opérationnels du navire. La suite des choses a dépendu de la présence d’icebergs et de glaces flottantes dans la partie ouest de l’Arctique, qui ont rendu impossible notre transit vers le détroit de Victoria. C’est malheureux parce que le navire affrété par Parcs Canada et équipé d’un sonar latéral a retrouvé un des bateaux de l’expédition de 1845 de Franklin dans un secteur non encore couvert par des sondages récents. L’emplacement de l’épave retrouvée correspond assez bien aux bateaux utilisés et à l’itinéraire prévu à l’époque par Franklin. L’épave confirme aussi la tradition orale inuit sur la présence d’un navire et d’un équipage sur les berges des îles environnantes à cette époque.
Je ne suis pas un historien ni un archéologue, bien que cela m’intéresse grandement. Je suis un géodésien spécialisé en hydrographie et, en cela, ma première tâche est de bien représenter les cours d’eau, leurs rives et les aides à la navigation. L’Arctique a grandement besoin d’un rajeunissement des données hydrographiques parce que la navigation marchande et de plaisance utilise maintenant le positionnement GPS au lieu de la navigation à partir des aides visuelles sur le rivage.
Avant l’avènement du GPS, on utilisait des systèmes de positionnement locaux, c’est-à-dire qu’on plaçait des émetteurs sur des repères installés sur les rives ou sur les montagnes pour calculer la position de la plateforme hydrographique. La précision obtenue variait en fonction de la géométrie formée entre les émetteurs et le navire. Pour l’Arctique, on doit aussi considérer la précision défaillante de l’emplacement des îles indiquées sur les cartes.
Avant les photos satellitaires, les photos aériennes ne permettaient pas de bien rattacher (positionner) les îles entre elles. Si la navigation d’aujourd’hui utilisait encore le positionnement relatif par rapport aux îles, cette considération n’aurait que peu d’incidence sur la sécurité de la navigation. Par chance, les passages entre les îles dans l’Arctique sont profonds, mais on n’est pas à l’abri d’un haut-fond mal positionné ou qui n’a pas été relevé parce qu’il se trouvait entre les lignes de sondage en attendant une mise à jour des sondages.
Les sondeurs multifaisceaux et le positionnement par GPS ont simplifié aujourd’hui la planification des levés hydrographiques et uniformisé la précision des sondages, peu importe la configuration du plan d’eau. L’Arctique canadien pose cependant encore plusieurs défis : le couvert de glace est présent pendant plusieurs mois et la période d’eau libre ne l’est pas vraiment parce qu’il y a souvent des plaques de glace et des icebergs qui empêchent de faire des relevés, surtout dans les zones près des rives.
Le Service hydrographique du Canada doit se résoudre à sonder des corridors sécuritaires de navigation entre les îles afin que des navires puissent acheminer les denrées et les fournitures à des coûts raisonnables aux villages inuit et aux industries qui s’installent pour exploiter les ressources naturelles. Présentement, le coût de la vie dans l’Arctique est de trois à quatre fois celui du Canada méridional et à deux fois pour un article en « spécial ». La couverture d’une rive à l’autre se fera dans un deuxième temps.
Je suis content de ma petite contribution pour augmenter la sécurité des navires marchands et de plaisance dans l’Arctique, pour réduire les désastres environnementaux éventuels et diminuer les délais d’intervention en cas d’urgence. Le temps compte pour un navire en perdition, mais on a tout le temps voulu pour une épave.
Bernard Labrecque
Président
Association canadienne d’hydrographie
Section du Québec
bernard.labrecque@globetrotter.net
* Chronique publiée dans le magazine Printemps 2015 de Québec Yachting.