Pour partir, il faut quitter…
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Les amarres sociales qui nous retiennent nous empêchent-elles d’aller errer sur les mers? Sinon risquent-elles de forcer notre retour précoce? Plus directement posée, la question pourrait devenir « Voulons-nous vraiment aller vivre plusieurs années la grande liberté de la mer? »
Une première embûche vient rapidement nous hanter. Comment disposer de notre habitation et de notre voiture? Louer ou autrement régler momentanément le sort de la maison et de son contenu et placer la voiture en lieu sûr nous paraît préférable à tout vendre. Cette option semble plus rassurante. Elle n’est rassurante que si on envisage un retour avant deux ans d’errance. Sinon il est embarrassant de devoir se soucier d’un appartement et d’une voiture pendant qu’on s’émerveille à découvrir un atoll ou l’archipel corallien des San Blas. Par contre, revenir « chez soi » sans toit et sans voiture peut poser de sérieuses difficultés. Tâchons donc de déterminer avant de partir combien de temps durera cette période d’écumeur des mers.
La toute première question qui se pose : « Combien de temps aimeriez-vous que dure cette liberté d’errer? » Tout l’équipage a-t-il la même période en tête? Si l’un imagine vivre ainsi durant cinq ou dix ans et même plus, tandis que l’autre vise un maximum de deux ans, peut-être même moins, il vaut mieux en discuter et choisir tout de suite avant d’entreprendre les préparatifs de départ.
Pourquoi choisirait-on d’abréger cette période de grande liberté?
Le besoin de vivre l’hiver
Évidemment, il est possible de naviguer sur les mers froides, voire glaciales, et de vivre l’hiver comme jamais on ne l’a connu. Ce n’est donc pas vraiment l’hiver ou le besoin de changement qui motive cette réponse, mais l’inverse. Vivre sur la mer représente trop de changements et on préfère revenir assez rapidement comme avant. Au fait, en plus de 20 ans sous les tropiques, l’hiver ne m’a jamais hanté. Comme il y a toujours des fleurs et de la verdure, on ne sent pas venir l’automne et encore moins la période de noir et blanc qu’est l’hiver.
Il faut s’habituer à vivre à la chaleur. On y arrive tous assez facilement. Je skiais 50 jours tous les hivers et n’ai jamais craint les jours froids. La chaleur m’importunait et j’avais de grandes difficultés à bien travailler quand le thermomètre indiquait plus de 28 °C. Le physique s’y est fait et, un peu plus difficilement, le mental en est venu à trouver normal de vivre constamment au-dessus de 28 °C.
La peur de la mer
Pas toujours facile d’avouer qu’on craint la mer. Cette appréhension est saine et utile. Il faut s’habituer aux conditions de mer difficiles de façon graduelle. Il est préférable d’éviter le choc d’une mer de 3 mètres ou plus à la première importante traversée. Par contre, je crois qu’il est tout aussi important de pousser un peu ses limites et tester volontairement, de façon contrôlée, ses réactions à des situations plus difficiles.
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Le besoin de plus de confort
Le confort s’obtient souvent en échange d’une augmentation de la complexité de l’entretien. Un bateau simple demande moins d’entretien et donc cause moins de soucis. Pour certains, la simplicité sera plus confortable, et ce, même quand on a les moyens de déléguer l’entretien. Déléguer apporte des soucis, surtout quand l’environnement vous est presque hostile. À vous de choisir le niveau de confort acceptable désiré.
Il n’y a pas beaucoup d’espace dans un voilier, comparativement à un appartement, mais plus le voilier est grand, plus il coûte cher à naviguer. Plus il est grand, plus il devient aussi plus complexe, exigeant des réglages plus difficiles. On devra encore une fois choisir son niveau de confort acceptable.
L’ennui
Vraiment, je n’ai jamais connu et n’ai jamais croisé personne qui puisse se plaindre d’un manque de réalisation ou d’ennui. Une question qu’on m’a souvent exprimée : « Que faites-vous de toutes vos journées? » Difficile de répondre à cette question, mais toutes nos journées sont bien remplies. Évidemment, on n’a pas quitté la vie de travail commandé pour chercher à accomplir des projets pour autrui, mais bien pour satisfaire un désir de liberté et de découvertes.
Le manque d’argent
Il est souvent possible de gagner un peu de sous et ce travail peut devenir intéressant. Mais surtout, pour parer au manque d’argent, il faut changer de style de vie. Évidemment, le confort est souvent synonyme de dépenses, vous pensez? Pas nécessairement. Il est possible de manger mieux, autant question goût que santé, tout en dépensant moins. Manger des pommes coûte plus cher que manger des bananes quand on est sous les tropiques. Ce qui est cultivé localement est plus frais et moins cher. Optons donc pour les cultures locales et découvrons la cuisine en variant notre table d’un pays à l’autre.
Les problèmes de santé
Pas grands moyens ici autres que de demeurer dans des endroits où les soins sont bons. Il y a des endroits où les soins de santé sont au moins aussi bons que chez soi. Impossible de rêver de grandes traversées, mais on trouve des sites paradisiaques où les hôpitaux sont très bien équipés et le coût des soins pas trop élevé. Il faut tout de même une assez bonne santé pour penser grande liberté.
La famille et les amis
Vrai que les enfants et les petits-enfants nous manquent. Mais combien de fois par an les voit-on quand on demeure chez soi? Il faut probablement prévoir un retour ou deux par année au pays d’en haut. Donc, prévoir ses navigations en fonction de ces retours est une bonne idée.
La vieillesse
Inévitablement, on vieillit. On peut toutefois réagir un bon moment et ne pas baisser les bras au premier signe de vieillissement. Quand on cesse toute activité physique exigeante, on perd vite la forme et plus on vieillit, plus elle est difficile à reprendre, cette forme. La navigation aide à maintenir à un niveau acceptable la forme physique. Ce sont les longs mois au mouillage qui taxent notre physique. Il est préférable alors d’ajouter une forme de conditionnement à notre horaire hebdomadaire.
Conclusion
Pour ma part, quand s’est dessiné le projet de partir, j’ai choisi l’option sécurisante. Je me suis décidé avec l’objectif de naviguer vers le sud de la Caraïbe, plus précisément me rendre à Puerto la Cruz, au Venezuela. Un retour prévu par avion, après environ un an, s’est réalisé facilement. Une fois réglés tous les bouts de ficelles laissés pendants, je repartais pour une période prévue d’au moins dix ans. Il y a 21 ans de cela et je goûte toujours, chaque jour, avec autant de plaisir, la vie sur la mer. Que je sois en navigation ou au mouillage, j’adore encore vivre au cœur de la nature.
C’était un choix sécurisant pour moi, pas nécessairement le meilleur pour tous.
Je vous souhaite de bien choisir et, surtout, d’en jouir!
Par Michel Brassard
*Cette chronique de la retraite à voile a été publiée dans le magazine Printemps 2016 de Québec Yachting.