Québec Yachting

L’harmonie à bord – Préserver l’équilibre malgré la gîte!

Nos Grands Explorateurs, Sabine et René Van Bever, sur Idemo battant pavillon belge.

Vécue au quotidien sur Dance Me, l’harmonie parmi les équipiers est non seulement une source de bonheur qui enrichit l’aventure à voile, mais aussi une condition indispensable au vivre ensemble et à la sécurité à bord. Jamais tenu pour acquis et en perpétuel équilibre, le maintien de l’harmonie à bord requiert sur de longues périodes des conditions gagnantes!

Hilda et moi pouvons compter sur les doigts d’une main tout au plus les disputes que nous avons eues depuis que nous naviguons ensemble. Nos invités, au cours de toutes ces années, peuvent en témoigner. Nous nous estimons à cet égard très privilégiés. Mais comme nous ne possédons pas « LA » vérité, pour traiter de ce sujet de façon convenable, nous avons cru bon faire appel à nos amis marins afin d’élargir et d’approfondir notre propos.

Édith et Denis, à la retraite sur Eden Mar, sillonnent la Méditerranée depuis longtemps, à raison de plusieurs mois chaque année. Il en est de même pour Virginie et Daniel sur Youkali, qui comptent plus de 20 ans de vie à bord, par périodes variant de 6 mois à 5 ans, ainsi qu’une traversée de l’Atlantique dans des conditions difficiles, pour ne pas dire périlleuses. Il y a aussi nos Grands Explorateurs, Sabine et René, qui ont réalisé un tour du monde en famille avec de jeunes enfants et repris la mer quelques années plus tard pour vivre à bord d’Idemo, en Méditerranée. Ils étaient au Québec en début d’année pour présenter leur magnifique film sur les îles grecques.

De l’avis de Sabine et René, « Le vivre ensemble, pour un couple, représente un sujet complexe et hautement sensible. Mais que dire alors du vivre ensemble 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur un bateau et pendant de longues périodes! »

Et Sabine d’ajouter, « Je crois que je peux dire que nous avons trouvé une certaine harmonie, mais je sais aussi qu’elle n’est jamais acquise! »

En recueillant les commentaires de nos amis navigateurs, partagés si généreusement, nous réalisons à quel point nos opinions se recoupent, teintées toutefois de nos personnalités propres. Ainsi, Hilda et moi souhaiterions partager avec vous les sept conditions gagnantes de nos expériences respectives. Les voici…

1. Partager une vision commune

La toute première condition, de l’avis de tous et toutes, consiste à partager la même vision de ce mode de vie : soit l’amour de la voile et son rythme de vie plutôt relax mais parfois trépidant, une certaine tolérance au risque, l’amour de la nature ainsi que le goût de l’aventure et de la découverte.

Daniel et Virginie : « Nous partageons la soif de connaître les autres, découvrir de nouveaux pays, visages, cultures, langues et coutumes. Nous sommes curieux et nous aimons la nature. Nous préférons la solitude dans un beau mouillage qu’une place en marina près d’une ville, aussi belle soit-elle. Mais cela relève plutôt de nos goûts et non de la recette de réussite de la vie sur l’eau. »

Sabine : « Je crois que nous sommes surtout d’accord sur la façon de naviguer. Les performances de vitesse dans le vent fort ne nous intéressent pas vraiment. Nous aimons tous les deux découvrir toujours de nouveaux endroits et avons à cœur d’aller vers les autres. Nous favorisons les mouillages plutôt que les marinas et nous nous sentons tous les deux mieux dans notre habit de marin plutôt que de terrien. »

Alors, difficile d’envisager de se lancer dans l’aventure si vous n’avez pas tous deux la flamme ou le pied marin au départ ou si, par ailleurs, vous ne partagez pas la même vision de ce mode de vie. Afin d’apprivoiser notre projet à voile, Hilda et moi avons loué des voiliers en formule charter sans capitaine pendant cinq ans, à raison d’un mois par année, avant de faire le saut. À chaque occasion, nous nous réservions au moins deux semaines seuls tous les deux. Nous avons pu ainsi expérimenter en vrai ce mode de vie, ses plaisirs, ses inconvénients comme ses défis, et arrimer nos visions respectives de la vie à bord.

2. Entretenir la confiance mutuelle

Dans les meilleures conditions, la voile comporte des risques, particulièrement lorsqu’on planifie des passages de plusieurs jours, c’est bien connu. Souvent bénins, parfois modérés, les risques d’incidents, de blessures et de casse peuvent prendre des proportions démesurées que l’un ou l’autre des membres d’équipage n’est parfois pas prêt à affronter. Connaître le seuil de tolérance de l’autre s’impose! Aussi, Hilda et moi respectons toujours le plus bas dénominateur. Si les prévisions météo laissent entrevoir un niveau de risque que l’un ou l’autre ne souhaite pas assumer, nous allons nous abstenir. C’est ainsi que nous avons pu bâtir une confiance mutuelle qui, même dans des conditions imprévues, nous a permis de rester unis et totalement complices face à l’adversité. Le partage du risque et le respect du seuil de tolérance consolident la confiance entre les membres d’équipage et contribuent à préserver l’harmonie à bord.

André, Hilda et Annie (Jacques derrière la caméra), en escale à Dubrovnik.

L’anticipation joue également un rôle important dans la préservation de la confiance mutuelle. À titre d’exemple, Hilda et moi prendrons un ou deux ris dans notre grande voile lattée dès que le vent apparent au près atteint 20 nœuds. Cette précaution nous évite de devoir entreprendre des manœuvres alors que les conditions passent le cap des 23 nœuds, se détériorent et nous mettent à risque d’une défaillance. Il en est de même pour le grand spi asymétrique que nous affalons en équipage réduit dès que le vent apparent atteint 12 nœuds. Nous pouvons ainsi abaisser la chaussette en toute sécurité et procéder à son rangement sur le pont. Nous aurons ainsi préservé l’harmonie à bord, au prix bien minime de laisser derrière un nœud ou deux!

Si les prévisions météo ne sont pas favorables, nous resterons au mouillage, même si les apparences parfois trompeuses nous invitent à partir. L’expérience nous a appris à ne pas nous fier uniquement aux conditions météo prévalant dans le mouillage et à anticiper les conditions à l’extérieur. Dans de telles circonstances, il n’est d’ailleurs pas rare de voir des équipages partir pour revenir après avoir été confrontés à l’extérieur du mouillage à des conditions au-delà de leurs capacités.

3. Interchangeables ou complémentaires

Dès le départ de notre aventure, Hilda et moi, par choix bien personnel, avons convenu d’en arriver à ce que chacun de nous puisse accomplir toutes les tâches sur le bateau. Pour cette raison, nous avons réalisé nos brevets de navigation ensemble et détenons aujourd’hui les mêmes certificats. Tant Hilda que moi pouvons barrer et amarrer à quai Dance Me, quelles que soient les conditions de navigation, et ce, avec autant d’habileté l’un que l’autre. Nous nous efforçons de nous échanger régulièrement les tâches pour conserver notre acuité d’exécution, ce qui nous rend totalement interchangeables.

L’harmonisation à bord rayonne sur tout l’équipage. À preuve, le bonheur bien senti d’Alex, Julie et Jo à l’approche de Dance Me.

Certains équipages opteront pour la complémentarité. Ainsi, chacun aura des tâches propres. Là encore, lorsque chacun est bien campé dans ses tâches, cela a tout lieu de fonctionner! Il faut en convenir et que chacun se sente bien dans l’exécution de sa tâche.

Interchangeables ou complémentaires, quoi qu’il en soit, il importe de pratiquer les manœuvres de récupération d’un équipier à la mer en prenant la barre à tour de rôle afin que l’un et l’autre soient familiers avec la procédure advenant l’impensable.

4. Progresser au rythme de l’équipage

À voile, la théorie s’apprend parfois dans les livres, mais l’expérience s’acquiert nécessairement sur l’eau! Aussi, l’apprentissage est pratiquement sans fin, ce qui rend le sport si enrichissant. Il importe de progresser au rythme de l’équipage afin de construire la confiance des équipiers. Nous sommes parfois étonnés de constater que des couples, parfois des familles avec de jeunes enfants, s’initient à la voile sur de grandes unités et de longs parcours, avec au départ très peu d’expérience. Dans les zones particulièrement venteuses, telles qu’en mer Égée, des précautions s’imposent. S’enquérir des dernières prévisions météo, laisser passer le gros temps et les situations périlleuses sont des prérequis pour bâtir et préserver la confiance de l’équipage.

De l’avis de Daniel : « Nous suivons religieusement les trois règles du succès en navigation : la sécurité, la sécurité et la sécurité. Ainsi, nous vivons de l’aventure et nous évitons les situations dramatiques. En éliminant le drame de nos aventures, nous conservons le goût de continuer année après année. »

Édith d’ajouter : « Former une équipe pour les manœuvres, être complémentaire, solidaire dans les difficultés, reconnaître ses erreurs et en discuter pour s’améliorer, connaître aussi ses qualités! » Voilà comment un équipage gagne en confiance et préserve l’harmonie à bord.

Aussi, il est prudent, au début, de choisir des plans d’eau faciles à naviguer et des distances plus courtes. Vous pourrez progressivement allonger vos passages, agrandir vos territoires de navigation et accroître le taux de difficulté. Vous élargirez votre zone de confort et votre tolérance au risque, et ce, tout en gardant votre équipage et votre bateau en sécurité.

5. Inviter le ménage à trois!

Pour nous, l’achat de Dance Me fut l’occasion de constituer en soi un ménage à trois! Bizarre? Pas tant! Dance Me a été acquis d’un commun accord à partir d’une liste de critères élaborés ensemble. Nous avons convenu des caractéristiques recherchées, des impondérables comme des désirables. Nous avons magasiné ensemble et notre coup de cœur s’est porté tous les deux sur Dance Me. Les priorités, les améliorations et les ajouts font toujours l’objet d’un commun accord. Au fil des années, Dance Me s’est transformé pour s’adapter à nos besoins et nos attentes. Aujourd’hui, Dance Me est membre à part entière de la famille. Il assure notre sécurité et nous prenons grand soin de lui. Je crois que nous nous sommes adoptés mutuellement pour former véritablement un ménage à trois!

6. Minimiser les irritants

Les irritants peuvent être nombreux dans un espace réduit. L’exiguïté d’un voilier impose de respecter l’espace vital de l’autre. Chacun possède son coin favori où s’isoler, se retrouver seul. Il faut en être conscient, rester attentif et respecter l’autre.

Chacun doit pouvoir se retrouver dans son espace préféré. Ici, Hilda et son livre, bien installée sous le bimini.

Les préférences quant au rythme de navigation et aux distances peuvent varier d’un équipier à l’autre. Il importe de reconnaître les différences et de respecter les préférences de chacun. L’un aime lever l’ancre tôt et naviguer chaque jour; l’autre préfère plutôt un programme plus relax et des escales prolongées. Il faut trouver le juste équilibre et faire en sorte que chacun y trouve son compte.

Et René d’écrire : « En fait, ce n’est pas très compliqué. Que l’on soit deux ou quatre à bord, il faut que chacun y trouve son compte et estime qu’il y a plus d’avantages que d’inconvénients dans cette vie de nomade, parfois inconfortable, rarement angoissante, dans laquelle chaque escale est nouvelle, chaque rencontre est inattendue, chaque jour est différent. Et justement, c’est ce qui nous plaît. »

7. Encourager la communication

La dernière règle, mais non la moindre… Qu’il s’agisse du rythme de croisière ou des modalités de la vie à bord, de la rigueur des mesures de sécurité, du rangement à bord, du partage des tâches ou du respect de l’espace vital, tout passe par la communication, la compréhension et le respect de l’autre.

Sabine écrit : « Nous savons également que disputes et bouderies sur un bateau ne mènent à rien, sinon à des ennuis en cascade qu’il faudra de toute façon régler ensemble. Oh là là! Je relirais ces lignes les grands soirs de crise! »

Alors, il faut reconnaître que l’harmonie à bord requiert une attention particulière et que même les plus expérimentés d’entre nous doivent y consacrer des efforts. Mais le maintien de l’équilibre malgré la gîte, au sens propre comme au sens figuré, est gage d’immenses bonheurs!

Bons vents! Bonne voile!

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Les 7 règles de l’harmonie à bord

Édith et Denis, sur Eden Mar battant pavillon français, équipage expérimenté qu’on aime revoir chaque année.

  1. 1. Partager une vision commune du sport de la voile et de son mode de vie bien particulier.
  2. 2. Entretenir la confiance mutuelle en tout temps et même au travers d’événements parfois imprévisibles.
  3. 3. Interchangeables ou complémentaires : les membres d’équipage doivent être confortables dans leurs rôles respectifs et avoir la capacité de prendre la relève à la barre pour faire face aux situations d’urgence.
  4. 4. Inviter le ménage à trois pour intégrer le voilier aux principaux acteurs de l’aventure.
  5. 5. Progresser au rythme de l’équipage pour développer la confiance des équipiers et assurer la sécurité tant de l’équipage que du bateau.
  6. 6. Minimiser les irritants pour éviter les périodes de tensions inutiles.
  7. 7. Maximiser la communication pour bien saisir les besoins et les attentes des membres d’équipage et pour disperser les conflits inutiles.

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Cet article a été écrit grâce à la précieuse collaboration de nos amis marins :

Virginie et Daniel Grenier, sur Youkali battant pavillon canadien.

Édith et Denis Blondin, sur Eden Mar battant pavillon français.

Sabine et René van Bever, sur Idemo battant pavillon belge.

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Hilda et Jacques sur Dance Me

Hilda et Jacques naviguent en Méditerranée depuis 2005. Pour tout commentaire ou toute information supplémentaire, n’hésitez pas à leur écrire un courriel à j.chalifour@chalifourcom.com.

Par Jacques Chalifour
Photos : Par Hilda Luyt

*Cet article a été publié dans le magazine Hiver 2018 de Québec Yachting.