Ma croisière écourtée aux Exumas
Dans un premier temps, ce sont les Christmas Winds qui ont retardé ma traversée du Gulf Stream, à l’hiver 2019. Ce n’est qu’à la mi-février 2020, quand la météo est redevenue enfin plus raisonnable exceptionnellement cette année-là, que j’ai décidé de faire la traversée. Nous avons donc profité, mon équipier Philippe et moi, du voilier Nous Deux d’une fenêtre de vents de moins de 10 nœuds, qui nous a menés de No Name Harbour à Nassau en 36 heures avec un arrêt pour dormir à l’ancre à Bird Cay dans les Berries. Un ancrage très confortable qui nous permis de gérer notre heure d’entrée à Nassau pour ne pas y arriver de nuit. Nous étions tout de même rendus au 16 février 2020 pour une saison qui commençait deux mois en retard.
Après un court crochet d’une semaine à Eleuthera où j’ai rejoint Nathalie et Philippe sur FULUB, nous nous sommes dirigés vers les Exumas, plus précisément vers Highborne Cay, notre porte d’entrée. Puis, après un court arrêt à Normand Cay pour nous rendre à Warderick Wells, le parc national des Exumas et l’un de ses ancrages des plus enchanteurs. Sans compter la gentillesse de l’accueil des jeunes bénévoles qui assurent l’animation et la gestion du site. C’est à partir de là que vous comprenez l’attrait universel des Exumas, où la navigation au largue en eaux protégées est un délice insatiable.
Finalement, l’incontournable environnement du cœur des Exumas : Staniel Cay. Mon coup de cœur du milieu des années 80, quand j’y suis débarqué pour la première fois. Quel plaisir de rentrer s’asseoir au bar de la marina et de prendre une classique Kalik qui est maintenant déclinée en une demi-douzaine de variétés. Ce qui n’a pas changé toutefois, c’est le sentiment d’être au paradis dans les petites rues tortueuses de Staniel Cay.
On pousse un peu plus au sud vers Black Point, mon deuxième choix que je veux vous faire découvrir, si ce n’est déjà fait. Ça commence par la découverte d’un village avec du vrai monde qui y vit une vie bien tranquille encore aujourd’hui malgré l’affluence touristique des voileux. Débarquer au quai municipal pour aller facilement y déposer ses vidanges moyennant une légère contribution au parascolaire des enfants de l’île. Monter la rue et choisir Lorraine’s Caffe pour manger entre amis ce soir. Lorraine elle-même vous fera la conversation et animera la soirée comme si vous étiez la visite tant attendue qu’elle est heureuse de revoir à sa table.
Le lendemain, on lève l’ancre, mais c’est tout juste pour contourner vers le sud, la pointe noire de l’île et aller ancrer dans Little Bay. Sur une plage de sable bien tassé, avoir l’impression de marcher comme dans un plat de fudge mou sur plus d’un kilomètre. Trouver un petit coin tranquille pour passer la journée à faire le farniente. Puis, en fin d’après-midi, regarder le soleil se coucher sur une mer calme en espérant voir le rayon vert. Se consoler de se l’être fait voler par un nuage sur l’horizon en se réunissant autour d’un feu de plage de bois flotté, pour prolonger le rêve éveillé que ça pourrait durer toujours, un jour…
C’est vendredi matin 13 mars, après exactement un mois au paradis, ancrés à Rudder Cut Cay pour aller explorer ses grottes et plonger pour rendre visite à la sirène au piano de David Copperfield, que mon monde a basculé. Les touristes sur les catamarans de croisière rencontrés à terre nous informent qu’un coronavirus particulièrement contagieux venu de Wuhan en Chine se répand rapidement sur la planète. Il cause plus de pertes de vie chez les personnes âgées et les gouvernements européens et nord-américains songent à fermer leurs frontières.
Cette nouvelle a changé radicalement le sujet de conversation partout dans le monde, incluant l’ancrage à Rudder Cut Cay. Nathalie, Philippe et moi nous consultons et cherchons à évaluer nos options. Ils sont beaucoup plus jeunes que moi et choisissent de poursuivre leur croisière vers George Town. Pour ma part, je consulte Odette qui a été retenue à Québec et qui me donne les nouvelles d’heure en heure. Le gouvernement du Canada considère fermer ses frontières, même avec les États-Unis. De concert avec ma blonde, je choisis de laisser mon bateau en sécurité, à quai chez mon ami Vivian Lockhart, à Coral Harbour sur l’île de Providence, du côté opposé à Nassau, et de rentrer à la maison étant donné que je suis dans le groupe d’âge jugé le plus à risque en cas d’infection à ce virus particulièrement mortel.
Je compte y laisser mon bateau pour trois ou quatre mois, le temps que ça passe. Vivian me rassure que même si je devais l’y laisser durant la saison des ouragans, les canaux de Coral Harbour sont l’endroit où les bateaux de Nassau sont entreposés, quand l’île est menacée. Il m’a rendu un grand service, mon ami bahamien, car même un an plus tard, je n’avais toujours pas eu la possibilité de revenir chercher mon voilier et je ne voyais pas le jour où je pourrais le faire en toute sécurité pour ma santé, étant donné mon âge plus avancé que vous ne le soupçonnez. J’ai donc finalement accepté de le vendre à de jeunes compagnons de voile et amis, Francis et Manon, qui avaient pour leur part déjà un congé sans solde d’accordé pour février 2021 et qui se cherchaient un bateau aux Bahamas pour en profiter.
Quand on dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres, on ne dit pas tout car aujourd’hui, j’ai trouvé mon bonheur hivernal loin du froid et des tempêtes de neige, là où je vous écris ces mots, dans ma nouvelle maison de Snowbird à Port Orange en Floride, à deux pas de l’Intracostal.
Depuis sa résidence d’hiver floridienne, Philippe Pelletier continue d’accompagner et de conseiller les nouveaux venus à la croisière en descente vers le sud et aux Bahamas au moyen de ses guides de croisière et de ses conférences sur le thème « Oser partir… ». Pour en savoir davantage, visitez son site internet au https://guidenautiquedesbahamas.com/.
Par Philippe Pelletier
*Cet article a été publié dans le Vol. 45 No. 1 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!