Les Sporades de l’Est – En mer Égée, splendeurs et tranquillité assurées!
Nous sommes le 6 juillet 2015 et nous mouillons depuis hier dans le magnifique petit port de Myrina surplombé de son imposant château génois. Myrina est la capitale de Lemnos. Semi-dormante le jour, elle s’anime tôt le matin et tard le soir. Hier, c’était jour historique de référendum en Grèce portant sur les propositions des autorités de la CE au sujet du refinancement de la dette. Tous étaient rivés sur les résultats alors qu’en fin de soirée l’oxi (le non) l’emportait haut la main. Pied de nez aux partenaires de la CE, les Grecs se sont tenus debout et, ce faisant, ont su faire preuve de courage. Ce matin, au lever, les Grecs reprenaient leurs habitudes comme si rien ne s’était passé, sachant très bien par ailleurs qu’il y aura beaucoup à faire pour assurer la suite.
Lemnos est l’une des neuf îles habitées de l’archipel des Sporades de l’Est et l’une des plus belles en raison de ses paysages gracieusement ondulés, ses plages de sable et sa faune. Corridor migratoire important, les flamants roses s’y arrêtent chaque printemps. Nous sommes arrivés sur l’île, il y a quelques jours, de Lesvos au sud, un passage de 45 mn que nous avons négocié au près bon plein, deux ris dans la grande voile, par Beaufort 5 et 6. La traversée fut à la fois rapide (entre 7,5 et 8,5 nœuds) et confortable avec des vagues adonnantes. Dance Me a donné le meilleur de lui-même, s’offrant à l’occasion un rail à l’eau sous les rafales!
Nous avons amorcé notre campagne 2015 à la mi-mai après un court séjour à Marmaris, notre port d’attache, consacré à préparer et à approvisionner Dance Me avant son périple en mer Égée du Nord. Nous quittons très tôt la Turquie cette année pour entrer en Grèce par l’île de Symi. Ici, il est facile de faire soi-même les papiers et procédures de douanes et d’obtenir le « Transit Log » sans lequel il est impossible de naviguer en Grèce, comme en Turquie d’ailleurs. En prenant à notre charge les procédures, nous aurons réalisé une économie de 150 €! Soit 100 € pour les frais de l’agent et 50 € pour la place à quai réclamée dans le port de Mandraki, à Rhodes.
En route, nous aurons pris toutefois le temps d’arrêter saluer notre ami Békir et son partenaire Shadan dans la baie de Bozukkale, sur la côte turque. Nous y passerons d’ailleurs quelques jours en compagnie de sa famille et de quelques amis.
Le 31 mai, nous quittons Symi, l’une de nos îles favorites, pour entreprendre la remontée de l’archipel du Dodécanèse à la découverte des îles du nord et du continent grec. De Symi, nous enfilons Kos et Kalimnos, où nous saluerons au passage George et Popi, propriétaires d’une petite Taverna. Nous reprenons la mer quelques jours plus tard vers Leros et Agathonisi pour relier Samos, l’île la plus au sud des Sporades de l’Est. Il nous aura fallu 15 jours, incluant quelques arrêts ici et là, pour traverser l’archipel. Tout au long de notre parcours, nous aurons bénéficié de vents favorables minimisant notre temps moteur et réalisant des passages rapides et agréables. Le temps demeure toutefois frais, mais par ailleurs très confortable. Nous passerons quelques jours à Pythagorion, sur Samos, pour réapprovisionner le bateau et profiter de cette magnifique petite ville portuaire. Samos mérite qu’on s’y arrête pour louer une voiture ou une moto afin de visiter l’intérieur, ce que nous avions fait l’année précédente.
En quittant Pythagorion, l’aventure débute véritablement puisque nous entrons dans des territoires inconnus. Nous éviterons Ikaria que nous avions également visitée l’an dernier et où nous avions passé quelques jours à attendre ma nièce et ses amis venus nous rejoindre par Athènes.
Ikaria est une île particulière… quoiqu’elles le soient toutes! Une île par ailleurs caractérisée par une longue crête avec des sommets à plus de 1000 m la traversant sur toute la longueur et plongeant par endroits dramatiquement dans la mer. Ici, la navigation peut s’avérer difficile et périlleuse en raison des venturis causés par le Meltemi, particulièrement puissant dans le canal qui la sépare de Samos et les catabatiques entraînés par ses sommets et l’escarpement de ses côtes. De plus, il y a peu d’endroits où se mettre à l’abri. Alors, mieux vaut planifier son séjour sur Ikaria et arriver tôt, car le principal port, Kirikos, ne peut accueillir que cinq ou six voiliers avec une tenue à quai qui laisse à désirer. Selon la mythologie, l’île aurait été le lieu de naissance de Dionysos, le dieu grec du vin. La légende raconte que les Ikariens auraient été les premiers à fabriquer du vin en Grèce. Par ailleurs, les scientifiques ont remarqué sur cette île la plus forte proportion de centenaires au monde. L’étude en cours tente de percer le mystère de cette longévité. Ce serait bien s’ils arrivaient à établir un lien direct entre ces deux particularités, soit vin et longévité, car ça nous rassurerait sur nos habitudes de consommation!
Nous contournerons Samos par l’est en empruntant l’étroit canal séparant la Grèce de la Turquie (à peine 1 mn) pour nous diriger vers Chios. Sur les rives de l’île de Samos, nous remarquons déjà la présence de vestes de sécurité et de radeaux pneumatiques abandonnés. La scène se reproduira à plusieurs reprises dans les jours qui suivront. Phénomène relativement nouveau dans cette région, un flux important de migrants venus de Syrie par la Turquie s’entassent dans ces embarcations pour traverser, généralement la nuit, de la côte turque à une île grecque, dans l’espoir de rejoindre la Communauté européenne où ils demanderont le statut de réfugié. Nous en verrons tout au long de notre séjour dans les Sporades de l’Est. Les scènes sont saisissantes. Récupérés par les garde-côtes grecs, parfois in extremis, ils sont regroupés et escortés jusqu’aux bureaux administratifs de la Garde côtière de l’île où ils atterrissent. Là, ils seront identifiés et redirigés vers Athènes où ils recevront leur visa avec lequel ils migreront vers le nord dans l’espoir de refaire leur vie.
Des familles complètes réalisent la traversée parfois de plus de 5 mn au risque de leur vie : parents, enfants, parfois en très bas âge, et grands-parents s’entassent à raison de plus de 20 ou 30 personnes à bord d’une même embarcation tirée par un passeur. Ce dernier disparaîtra avec son canot rapide après avoir percé le pneumatique des migrants à l’approche des côtes grecques pour s’assurer qu’ils ne soient pas retournés en Turquie. À l’ancre, sur l’île d’Oinousses, nous avons été survolés de nuit par un hélicoptère à basse altitude de la Garde côtière avec son puissant projecteur pendant plus d’une heure à la recherche d’un groupe s’approchant des rives. Le lendemain matin, ce groupe, encadré de militaires, attendait à quai son transfert par traversier vers Athènes.
Témoins de ce véritable drame humain et totalement impuissants, nous poursuivons notre route vers Chios après quelques arrêts dans de magnifiques baies turques aux eaux turquoise où l’on voit l’ancre se déposer sur le sable par 8 m de profondeur. Déjà, nous remarquons beaucoup moins de voiliers. Ici, il y a peu de bases de charter, donc beaucoup moins d’achalandage, majoritairement des voiliers privés.
Chios s’avère une île aussi très intéressante. Située à peine à 5 mn des côtes turques, elle aurait vu naître Homère. C’est aussi l’île des grands armateurs grecs, une puissance commerciale qui jadis faisait la fierté de la Grèce. Ici, tout le monde vous demande invariablement « D’où êtes-vous? » « Du Canada? » « Ah! Quel beau pays! » et ils enchaînent immédiatement « Je connais le fleuve Saint-Laurent, les Grands Lacs, Toronto, Québec et Montréal ». Qu’ils soient chauffeurs de taxi, pompistes, boulangers ou restaurateurs, ils ont tous un passé maritime. De plus, leur empressement à établir le contact les rend tellement sympathiques. Nous montons dans le taxi comme clients et 20 minutes plus tard, nous en ressortons en amis!
La ville principale, Chios, a beaucoup de caractère. Dense avec ses rues commerçantes piétonnières étroites, vibrante avec ses motos bruyantes, ses voitures et ses véhicules de transport en commun qui se chamaillent à chaque rond-point. Chios contraste avec la tranquillité des jours précédents et de ceux à venir. Nous repartirons le jour suivant pour Oinousses à 5 mn de Chios en laissant derrière une île qui aurait par ailleurs mérité qu’on s’y arrête un peu plus longtemps pour visiter l’intérieur en voiture. De fait, l’île regorge de villages traditionnels en surplomb de la mer, de paysages dramatiques, de forteresses médiévales et de vestiges byzantins. Nous nous promettons d’y repasser.
À Oinousses, nous retrouvons la tranquillité. Sur cette magnifique petite île avec son port sympathique et ses maisons retapées, le temps s’est arrêté. Ici, les plus grands armateurs, dont le plus grand d’entre tous, Costas Lemos, qu’on dit plus riche qu’Onassis, ont érigé de grandes résidences et laissé à la population un patrimoine bâti qu’elle entretient jalousement. La population est toujours à la solde de ces deux grands armateurs et de leurs descendants. Quelques centaines de personnes jouissent de trois bateaux-taxis en permanence et d’un traversier à demeure. De plus, l’île possède la plus importante école maritime de Grèce, autre héritage laissé par ces armateurs. Le tourisme occupe peu de place dans leur économie, si bien que les visiteurs sont accueillis poliment, sans plus!
Nous attendrons ici une fenêtre météo propice pour effectuer le passage vers Lesbos. Une traversée N-NNE de 30 mn qui peut s’avérer pénible. La chance nous sourit et nous repartirons deux jours plus tard avec un O-NO, B4/5 nous offrant un près bon plein et un passage rapide. Arrivés sur Lesbos, nous choisissons de jeter l’ancre dans la petite baie de Tarfi. Le lendemain, au lever, nous remarquons que nos batteries de bord ont anormalement faibli. Le problème doit être résolu rapidement. Condition oblige, nous modifions notre plan de visite de l’île pour nous rendre directement à Mytilène où nous espérons trouver les compétences nécessaires pour résoudre notre problème. À peine arrivés à la marina de Mytilène, nous rencontrons Manoli, un jeune électricien et mécanicien maritime. En moins de 15 minutes, Manoli pose son diagnostic : le répartiteur de charge des batteries de bord ne répond plus. La pièce est commandée à Athènes le lendemain et reçue le jour suivant pour être installée en moins de 20 minutes. Le problème aura été résolu pour moins de 100 euros!
Nous profitons du fait que Dance Me est en sécurité à la marina en attente d’une pièce pour louer une voiture et visiter l’île. Troisième en superficie, l’île est verdoyante dans sa plus grande partie. Avec plus de 10 millions d’oliviers, on lui reconnaît la qualité de ses huiles et de son ouzo, particulièrement celui produit à Plomari, sur la rive sud de l’île. Lesbos regorge de trésors tels que le Kastro et sa forteresse médiévale de Mytilène, celui de Molyvos au nord de l’île d’où l’on peut assister au coucher de soleil sur horizon de mer et l’important réseau de pistes de trekking fournissant l’occasion d’apprécier ses paysages.
L’île a su attirer les artistes ainsi qu’une importante cohorte de lesbiennes dont plusieurs y sont installées pour opérer de petits commerces. De fait, ici a vécu, 630 av. J.-C, la poète grecque Sappho, reconnue pour ses poèmes lyriques. Elle a entre autres écrit en faveur du lesbianisme, ce qui a aujourd’hui donné naissance au Woman International Festival, un événement annuel tenu en septembre dans son village natal d’Éressos et couru par la communauté lesbienne internationale.
On s’arrêtera aussi à Pétra, cette petite bourgade avec ses maisons ottomanes et ses rues piétonnières ainsi qu’à l’imposant aqueduc romain qui se dresse au beau milieu d’une vallée recouverte d’oliviers. Nous prendrons le temps de visiter le Musée d’histoire naturelle de la forêt pétrifiée. Un musée financé en partie par l’Unesco et la CE. Très bien aménagé, agréable et captivant, le musée trace le passé géologique et sismique de cette région, l’apparition de la vie animale sur terre ainsi que l’origine de ces troncs d’arbres abattus et préservés par les éruptions volcaniques de la région et qui, 20 millions d’années plus tard, grâce au processus de pétrification, nous dévoilent leurs secrets.
Nous reprenons le tour de l’île à voile pour nous arrêter à Plomari, question de s’offrir un ouzo. Nous terminerons notre tour de l’île en passant par le golfe intérieur de Kalloni, une curiosité en soi, et par Sigri à la pointe nord-ouest dans l’attente d’une fenêtre météo propice pour traverser sur Lemnos.
Notre aventure se poursuit dans les Sporades de l’Est. Juillet et août seront consacrés à découvrir la région de Khalkidhiki, les splendeurs du mont Athos et ses monastères ainsi que les îles tout au nord, Thasos et Samothraki. Nous retournerons en Turquie mi-août pour prendre à bord notre Geoffroy et Marie-Ève, sa conjointe, et redescendre ensemble la côte turque.
À suivre!
Hilda et Jacques sur Dance Me
Hilda et Jacques naviguent en Méditerranée depuis 2005. Pour tout commentaire ou toute information supplémentaire, n’hésitez pas à leur écrire à j.chalifour@chalifourcom.com.
*À noter : les noms des îles, des villes et villages ainsi que des lieux mentionnés dans nos reportages peuvent varier sensiblement de ceux référencés dans les cartes géographiques et maritimes ainsi que dans les guides touristiques. Ces noms varient d’un document à l’autre et nous obligent à faire des choix.
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À retenir des Sporades de l’Est :
- Des îles d’une grande splendeur, bien distinctives des Cyclades auxquelles on attribue les maisons cubiques blanches aux toits bleus si caractéristiques de la Grèce.
- Généralement éloignées les unes des autres et dans un axe NO-SE, les Sporades de l’Est exigent de bien planifier ses passages et de faire preuve de patience au profit de traversées agréables, sécuritaires et parfois sportives.
- Elles sont géographiquement situées au milieu du corridor du Meltemi, des vents N-NO qui, en juillet, août et septembre, peuvent souffler à B6/7/8+. Il faut donc faire preuve de vigilance et se prévaloir d’un rapport météo fiable avant de partir.
- Le tourisme est beaucoup moins présent dans les Sporades de l’Est, ce qui contribue à préserver l’authenticité et l’empathie des résidents, à notre plus grand bonheur.
- Le coût de la vie y est aussi moins élevé. Ici, nous payons le prix des résidents pour les fruits et légumes, les viandes et les poissons. Même les restaurants nous sont apparus plus raisonnables avec des prix variant de 20 à 50 € pour deux personnes, vin maison inclus.
- Les mouillages (sans frais) sont nombreux dans ces îles et les frais de quaiage portuaires minimes comparativement aux autres pays de la CE. Ici, le coût est approximativement de 1/2 € le mètre (soit 7 € pour Dance Me) par soir + l’eau et l’électricité, 5 € additionnels, pour un total de 12 € par jour!
- Les îles sont surtout fréquentées par des voiliers privés, car il y a peu de bases de charter au nord de Samos. De plus, on peut facilement consacrer quelques jours à attendre une bonne fenêtre météo, ce qui n’est pas optimal pour quiconque souhaite profiter pleinement de ses deux semaines de voile.
- Enfin, la marina de Mytilène fut une belle découverte pour nous. La marina est à échelle humaine et les préposés sont sympathiques et bien disposés. La sécurité est omniprésente et les services de base d’entretien et de réparation sont disponibles sur place. La ville est agréable; les restaurants très bien et peu coûteux. Cette marina pourrait très bien servir de port d’attache pour quiconque souhaite passer plus de temps dans cette région de la Méditerranée.
Par Jacques Chalifour
Photos : Hilda Luyt
*Reportage publié dans le magazine Automne 2015 de Québec Yachting.