Naviguer au Mexique pendant la pandémie de la COVID-19
Le déconfinement commence au Mexique. Depuis un mois, je suis à Puerto Vallarta à la Marina de Paradise Village. L’endroit présente l’avantage d’être sécuritaire en cas de tempête tropicale. Un quai à la marina donne accès à la plage et aux autres installations de l’hôtel adjacent. De quoi bien vivre pour les prochains mois!
Tant de choses se sont passées depuis les trois derniers mois… Au début, la crise semblait irréelle ici. Pendant le branle-bas de combat initial au Canada et aux États-Unis, Zihua faisait sa parade du Carnaval. Les autorités mexicaines auront emboîté le pas des mesures préventives environ trois semaines après le Canada et les États-Unis. J’étais à l’ancre dans la baie de Zihuatanejo. La plus grande conséquence immédiate fut la fermeture des restos. Le marché public des fermiers locaux est resté ouvert tout au long de la crise. La plupart des touristes prirent un vol de retour. La ville d’habitude enjouée est devenue bien morte.
Éventuellement, la Polynésie a annoncé qu’elle fermait ses frontières, Hawaï s’est retrouvée à accueillir quelques voiliers qui se sont déroutés en chemin. C’était mon option de rechange après avoir confirmé avec les autorités que j’allais pouvoir être admis dans l’archipel. Les autorités mexicaines se sont montrées accommodantes comme d’habitude tout au long de cette situation. Il y a bien eu quelques rumeurs de fermetures et d’agacements administratifs ici et là, sans plus. Les Capitania de Puerto de Zihuatanejo et de Puerto Vallarta ont continué d’émettre leur despachos (autorisation de navigation interne de port à port) de manière normale. Ces mesures administratives permettent aux autorités de suivre les déplacements des plaisanciers et d’offrir les services de secours efficacement en cas de besoin. Un peu comme le cruising permit des Américains. Les Mexicains de la côte Pacifique vivent de la pêche et d’autres activités marines depuis plusieurs générations. Il existe un respect et une compréhension manifeste entre plaisanciers, marins professionnels et capitaines de ports, que la COVID-19 n’aura jamais ébranlés.
Cette crise aura mis en lumière plusieurs avantages de cette vie de nomade océanique. Les possibilités d’isolement social sur un voilier de mer sont assez grandes, relativement confortables. Après tout, on cherche tous cet ancrage paradisiaque loin de la civilisation. Le plein de diesel fait, Paradigme 2.0 qui était prêt à aller en Polynésie, pouvait facilement faire le voyage vers Vancouver de Zihuatanejo si cela devenait nécessaire. Je ne m’attendais pas à ce que les frontières restent fermées aussi longtemps. J’ai donc gardé espoir de pouvoir me rendre en Polynésie jusqu’à la mi-mai. La saison des tempêtes tropicales débute ici officiellement pour les assureurs au début juin. Ces tempêtes ne sont pas de la même intensité que celles des Caraïbes. Mais je refuse de prendre quelques risques que ce soit face à ces phénomènes. J’avais donc à la fin mars amplement le temps de laisser la situation évoluer, d’évaluer les possibilités. Somme toute, à part les restos fermés, l’annulation par Westjet d’un voyage de retour vers Montréal, la crise avait peu d’impact pour moi. J’ai même trouvé quelques restos qui continuaient à servir les quelques gringos (terme initialement péjoratif qui fait bien rire les Mexicains quand il est autoappliqué) qui restaient en ville de façon clandestine. Pas mal dans les circonstances. Tout ceci n’est pas le fruit d’une chance ou d’un hasard. Un bateau en bon état et un plan de navigation adapté permettent d’éviter bien des écueils, en temps de crise comme en situation normale.
D’autre part, la vie sur un voilier de voyage dépend toujours des communautés qui nous accueillent. Il faut pouvoir se ravitailler en essence et en nourriture, avoir accès aux plages et aux installations nautiques. Cela implique un minimum de contact harmonieux avec les locaux. Ces relations sont plus précaires qu’on ne peut le penser. Riverains et plaisanciers peuvent avoir des intérêts divergents voir conflictuels même en situation normale. Une crise comme celle que nous vivons en ce moment peut accentuer certaines tensions qui existaient auparavant. C’est certainement le cas en Polynésie. L’Association des voiliers en Polynésie en est inquiète, en tout cas au point de se poser la question : La plaisance, une activité en péril? Il ne s’agit pas d’une situation unique. On en trouve des échos un peu partout. L’accès aux rampes de mise à l’eau au Québec? Les ancrages de liveaboard de la Floride de plus en plus surveillés et remis en question, souvent devant les tribunaux; la situation des ancrages contingentés de False Creek à Vancouver. Il existe plusieurs autres exemples. Toutes ces zones de navigation ont en commun une relation quelquefois complexe entre les populations riveraines et les usagers des plans d’eau. La crise sanitaire aura contribué à mettre en lumière la nature précaire de ces relations essentielles à la poursuite de nos activités nautiques.
Il est important comme navigateur de pouvoir fonctionner de façon autonome, efficace et sécuritaire. Il faut veiller à ne pas devenir un problème pour la population locale ou les autorités du pays d’accueil, ou pour le gouvernement canadien. Ça demande un plan de navigation adapté à l’embarcation et à son équipage. Tout cela est nécessaire pour assurer la sécurité de la vie à bord de toute façon. Quand on conjugue crise sanitaire, manque de préparation et de compétence de navigation, on obtient des résultats pas trop intéressants occasionnellement. Il ne faut pas beaucoup de cas problématiques pour avoir une influence négative sur l’ensemble de la communauté nautique. Il nous appartient d’agir de façon responsable face à tout ceci. C’est le cas pour la plupart des plaisanciers. Plusieurs écoles de plaisance existent au Québec. Les ressources sont là pour obtenir la formation de base nécessaire. Je suis toujours content d’aider les gens qui se lancent dans une aventure de grand voyage à voile.
À la fin mai, j’avais toujours en tête de traverser du Mexique vers Hawaï. Je me suis rendu chez un vétérinaire afin de compléter les procédures nécessaires à l’importation de Maggy (ma vieille Husky) à Hawaï. Voyager en voilier est complexe en soi, je vous épargne ici les détails administratifs de l’importation d’un chien de compagnie en Polynésie ou à Hawaï. Les tests ont révélé de l’anémie et une insuffisance rénale. Elle a 14 ans, avait besoin de traitements pour le prochain mois. C’était le point final des projets de traversée pour cette saison. À la suite des traitements, elle se porte beaucoup mieux. Elle adore être à quai, beaucoup plus que les longs passages. Paradigme 2.0 restera donc à quai jusqu’au mois d’octobre. Pour la suite… qui sait de nos jours?
Références :
École et Club de Voile Sansoucy
Navigation – Conseil LB (Luc Bernuy)
Voilier SurpriseS (Philippe Pelletier)
L’Intracostal en monde flâneur
Par Nicolas Authier
*Cet article a été publié dans le magazine Été 2020 de Québec Yachting. Abonnez-vous! C’est gratuit!