La voile par vent léger
J’adore faire de la voile dans un minimum de vent. Cette passion ne date pas d’hier. Vers la fin des années 80, j’ai appris à naviguer avec le spi asymétrique du Coriolis, le voilier Kelt 8,50 m de mon père. J’étais fasciné par cette voile énorme et colorée, qui amenait notre bateau à sa vitesse de coque dans environ 10 nœuds de vent, voire un peu moins.
Le lac est calme, le bateau vogue rapidement dans une assiette stable sans impact de vagues. Malgré le calme des conditions, on sent la puissance du vent dans la voile. L’absence de vague permet des navigations plus tranquilles, et plus confortables. Les conditions légères sont intrinsèquement plus sécuritaires. Elles sont aussi plus fréquentes sur les plans d’eau du Québec l’été, où il est rare de voir du 30 nœuds sur l’anémomètre au mois d’août. En cas de pépins on affale les voiles et on revient tranquillement à la marina. Une avarie dans plus de 40 nœuds de vent peut avoir des conséquences plus néfastes que dans une mer calme.
Il n’est donc pas surprenant de voir la plupart des voiliers conçus récemment essayer d’une façon ou d’une autre de tirer profit des conditions de vent léger. Les nouveaux concepts de foil et des plans de voile surdimensionnés ouvrent cette avenue pour le kitesurf, la planche à voile, les courses au large jusqu’à la Coupe d’Amérique. Tous ces sports à voile requièrent de moins en moins de vent pour arriver à la zone de performance ou de plaisir selon le cas. La Coupe d’Amérique 2021 limitera ses compétitions à Auckland entre 21 et 23 nœuds de vent réel. La vitesse des nouveaux AC75 fera en sorte que la compétition aura lieu dans des vents apparents d’environ 60 nœuds.
Pour un voilier de croisière moyen, il peut être intéressant de « tester » son bateau et ses habiletés de voile au-delà de 30 nœuds de vent réel. Ça aide pour la confiance d’un équipage de savoir qu’il maîtrise l’embarcation dans des vents élevés. Il est tout aussi intéressant de découvrir les performances qu’un bateau peut offrir dans moins de 15 nœuds réels, voire moins de 10 nœuds. Ça peut être préférable en termes de plaisir à bord. Ces conditions développent aussi des habiletés de voile différentes.
La plupart des bateaux de production standard sont livrés avec des gréements optimisés pour environ 15 nœuds. Le jeu de voile standard de Paradigme 2.0 (mon Bavaria 40) compte environ 80 mètres carrés de toile. Avec cette voilure et l’hélice Volvo 3 pales fixes, mon bateau nécessite environ 13-14 nœuds pour s’établir dans une allure intéressante. Et environ 15-16 nœuds pour atteindre sa vitesse de coque. À environ 17 nœuds s’installe une légère tendance au loft qui demande une réduction de la grand-voile. Ce genre de conditions, si elles sont bien établies, va amener une gîte assez prononcée et une mer (ou un lac) avec un certain niveau de vague. Sans compter qu’en cherchant 15-16 nœuds de vent, il faut être prêt à rencontrer des vents de 20 voire 25 nœuds. On entre alors solidement dans des conditions qui peuvent sortir de la zone de plaisir de plusieurs capitaines ou de leurs invités.
Un bateau équipé pour le vent léger permet une allure établie stable et agréable sous les 15 nœuds, où les vagues seront petites ou inexistantes, tout en se rapprochant de la vitesse optimale du bateau.
Quels sont les éléments à réunir pour améliorer l’expérience de voile en temps calme?
Il faut d’abord réduire la traînée. Ça veut dire une coque le plus lisse possible sous la ligne de flottaison, exempte d’algues ou d’autres salissures. Donc, bien nettoyer la coque avant la mise à l’eau et appliquer une peinture antisalissure adaptée au plan d’eau. À moins que le bateau ne soit entreposé hors de l’eau entre les régates. Cette étape est fondamentale et c’est aussi la moins dispendieuse. Il convient ensuite d’installer une hélice pliante qui permet un gain de vitesse de 0,5 à 1 nœud selon le bateau et les conditions. Ce gain de vitesse est non négligeable sur un voilier qui présente une vitesse moyenne de 6-7 nœuds. Dans le cas d’un voilier plus rapide, comme certains catamarans haut de gamme capables de vitesse au-delà de 10 nœuds, ces gains sont encore plus importants puisqu’ils ont deux hélices et que la traînée augmente exponentiellement par rapport à la vitesse. Une fois la traînée minimisée pour notre coque, on peut évaluer l’opportunité d’acheter une ou plusieurs voiles de temps léger. Un bateau de croisière avec un programme vacances peut se contenter d’un Code 0 ou d’un spi asymétrique. Un propriétaire avec plus d’enthousiasme pour les régates voudra un assortiment complet de voiles pour optimiser ses performances dans toutes les conditions de voile possible.
Pour mon Bavaria, tout cela se traduit par un entretien minutieux de la coque sous la ligne de flottaison, l’installation d’une hélice Flexofold deux pales et l’utilisation d’un Code 0 qui augmente de près de 60 % la surface de toile. Le Code 0 permet de naviguer jusqu’à 60 degrés du vent apparent, donc pas uniquement au portant comme un spi asymétrique. J’ai souvent observé des vitesses sur l’eau de 6 nœuds dans un vent réel de 7-8 nœuds et une mer évidemment calme. Le bateau et le gréement « souffrent » beaucoup moins que dans un baston de 25 nœuds, et je me rends à destination plus en sécurité et presque aussi rapidement.
Il ne faut évidemment pas négliger la formation de l’équipage à l’utilisation de ces voiles. S’il est vrai que le temps calme est en général plus sécuritaire, il faut savoir maîtriser ces grandes voiles rapidement, idéalement avant l’arrivée d’une bourrasque.
Par Nicolas Authier
Site web : https://www.paradigme2.com/
*Cet article a été publié dans le magazine Automne 2021 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!