Québec Yachting

Jusqu’où mon lac est-il capable d’en prendre?

Crédit photo : Denise Cloutier.

Cet été nos lacs et plans d’eau ont été envahis par de nombreux types d’embarcations, souvent de plus en plus puissantes. Les sports de glisse sur l’eau ou tractés (tubes, ski, wake, surf) se sont démultipliés en même temps que les vagues pour divertir les plaisanciers, au grand désarroi des riverains qui voient leurs quais, prises d’eau et berges grandement affectés. Mais à quel point mon plan d’eau est-il capable d’accueillir toutes ces activités sans que sa biodiversité, son équilibre et la qualité de son eau ne soient affectés irrémédiablement?

On a même vu un marchand de wakeboats faire une démonstration de wakesurf sur un lac eutrophe [1]! Eutrophe veut dire que la qualité de son eau est dégradée. Les fabricants utilisent des normes américaines qui ne prennent pas en compte les données récentes récoltées dans nos lacs du Québec. C’est donc dire à quel point les fabricants et distributeurs de bateaux ainsi que les navigateurs sont peu ou pas informés quant à l’impact de leur embarcation sur la vie aquatique des plans d’eau et, par conséquent, sur la qualité de l’eau.

Une étude réalisée en 2016 pour le compte de la Coalition Navigation[2] a passé en revue de nombreuses études sur le sujet des impacts de la navigation sur les lacs. Dans cette étude, on décrit un outil d’aide à la gestion pour caractériser la capacité de charge récréative (CCR) d’un lac afin d’en assurer la pérennité et la bonne santé du lac. Mais comment peut-on évaluer la « capacité de charge récréative » d’un lac?

La capacité de charge récréative (CCR) correspond à la pression maximale que les activités humaines (ex. : navigation de plaisance, développement résidentiel, agriculture, foresterie) peuvent exercer sur un écosystème sans diminuer son intégrité, et afin d’en assurer la durabilité… le concept a été appliqué pour inclure des composantes physiques, sociales et écologiques…

  • La CCR physique fait référence à un nombre maximum d’embarcations pouvant être utilisées en même temps sur un lac.
  • La CCR sociale prend en compte la qualité des expériences récréatives perçues par les usagers.
  • La CCR écologique concerne les impacts de la navigation de plaisance sur l’environnement.
  • La CCR nautique pourrait être calculée pour un lac combinant les usages et les objectifs avec les caractéristiques du lac. Doshi[3] a proposé en 2006 de calculer la CCR en quatre étapes principales :
    • Superficie utilisable du lac (SUL) : déduire 30 à 60 m de zone riveraine (plages, marinas, zones peu profondes, habitats sensibles, etc.).
    • Espace minimum requis pour chaque usage (Densité optimale de navigation (DON)).
    • Diviser la SUL par la DON pour obtenir la CCR.
    • Comparer la CCR au niveau réel de bateaux sur le lac.

Une autre étude[4] a proposé de suivre sept facteurs clés afin de déterminer leur capacité de charge récréative, notamment :

Clé 1 : Caractéristiques physiques du lac.

Clé 2 : Utiliser les caractéristiques d’usage.

Clé 3 : Impact environnemental des embarcations motorisées.

Clé 4 : Superficie utilisable du lac.

Clé 5 : Densité de navigation (OBD).

Clé 6 : Taux d’utilisation du lac.

Clé 7 : Capacité de charge récréative.

La capacité de charge récréative est dépassée lorsque le pourcentage d’utilisation maximale est supérieur à 100 %.

Une étude sur le lac de l’Achigan a été réalisée en 2021 par l’Association de protection du lac de l’Achigan (APLA) [5] en utilisant le concept de capacité portante du lac (ou capacité de charge récréative) basé sur des observations directes. Elle conclut à une surutilisation du lac en période de pointe qui se situerait entre 311 % et 172 % selon qu’on choisit le scénario conservateur ou permissif. À l’époque, on comptait plus de 750 embarcations motorisées sur le lac.

Une autre étude sur le lac des Sables[6] a démontré que la capacité environnementale du lac se situe entre 20 ou 27 embarcations motorisées selon qu’on choisit le scénario conservateur ou permissif, alors qu’il en accueille plus de 600 actuellement.

Est-ce qu’on peut imaginer l’impact de ces nombreuses embarcations sur ces lacs? Certainement! On peut même les voir.

Quels sont les signes visibles?

  • Les sédiments du fond du lac sont brassés et se retrouvent dans la colonne d’eau, particulièrement lorsque les bateaux naviguent sur une profondeur d’eau de moins de 7 mètres[7].
  • La transparence de l’eau diminue considérablement comme nous l’avions démontré dans notre chronique précédente dans l’édition de l’été (p. 69).
  • Les plantes aquatiques sont de plus en plus nombreuses, nourries par le phosphore qui est transporté dans la colonne d’eau avec chaque particule de sédiment.

Myriophylle vert et blanc. Crédit photo : Denise Cloutier.

  • Le périphyton (biofilm sur les roches) est de plus en plus épais ou couvert de longs filaments.
  • De nombreuses boutures de plantes aquatiques et des parcelles de périphyton arrachées du fond par les vagues flottent à la surface de l’eau.
  • Les berges sont érodées par le passage de bateau lorsque, notamment, les wakeboats naviguent à moins de 300 mètres de la rive[8].
  • Les cyanobactéries présentes dans tous les plans d’eau, elles aussi bien nourries de phosphore, se multiplient et peuvent créer un « bloom » d’algues bleu vert pouvant devenir toxique sous certaines conditions.

Quels sont les signes moins visibles de l’eutrophisation?

  • Le taux de phosphore augmente.
  • L’oxygène dissous diminue.
  • La vie aquatique microscopique se dégrade.
  • Il y a déséquilibre des populations de zooplancton, phytoplancton et autres microorganismes.
  • Les sites de fraie de poissons sont perturbés.
  • Il y a diminution du nombre de certains types de poissons plus sensibles.
  • La chaîne alimentaire est grandement affectée.
  • La valeur du lac diminue en même temps que la valeur des maisons autour.

Crédit photo : Denise Cloutier.

Si vous constatez un ou plusieurs de ces signes, ils pourraient être les symptômes d’une surutilisation du lac par les bateaux. Avec ces symptômes, un lac oligotrophe peut se dégrader et devenir eutrophe[9] beaucoup plus rapidement que naturellement. Il serait alors peut-être opportun d’obtenir de votre municipalité qu’elle demande au ministère des Transports fédéral certaines restrictions à la navigation pour protéger votre plan d’eau.

La Coalition Navigation offre maintenant un service d’accompagnement des municipalités dans le processus complexe pour faire ce genre de demande qui relève du Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments, selon la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada.

Plage d’Oka 2020. Crédit photo : Denise Cloutier.

En conséquence, si vous voulez respecter la capacité environnementale de votre lac et conserver sa valeur inestimable, assurez-vous d’abord d’utiliser le bon bateau au bon endroit, et j’ajouterais au bon moment et au bon nombre. Soyez à l’affût des symptômes d’une surutilisation du lac par les embarcations motorisées.

[1] Annabelle Blais, Une tournée de wakesurf inquiète les riverains, La Presse, 29 juin 2024, https://www.pressreader.com/canada/le-journal-de-montreal/20240629/281805699123619.

[2] Boating activity and other potential impacts on lake environment, Laval University,

   Ana de Santiago Martín, Ph.D. and Gaëlle Guesdon, M.Sc., under the direction of

   Rosa Galvez-Cloutier, Ph.D., Ing. Quebec (Canada), June 2016, extraits p. 78-83, traduction française Google Traduction.

[3] Doshi, S., 2006. Recreational Carrying Capacity in Lakes: How much is too much? Clean Lakes Program. Office of Water Quality. Indiana Department of Environmental Management. WATER COLUMN School of Public and Environmental Affairs 18, 6.

[4] Progressive AE, 2005. Little long lake recreational and environmental carrying capacity study. Report Project No 51830108. Progressive AE (PAE)., une étude réalisée sur quatre lacs du Michigan aux États-Unis (Pine Lake, Upper Crooked Lake, Gull Lake et Sherman Lake).

[5] Association de protection du lac de l’Achigan, 2021, Analyse de la capacité portante du lac de l’Achigan.

[6] BBA, Évaluation de la capacité portante du Lac des Sables en lien avec la navigation de plaisance – Phase 1 : Portrait de la situation actuelle, 2016.

[7] Sébastien Raymond et Rosa Galvez, 2e étude, Étude environnementale sur la qualité des sédiments du lac Noir et les impacts de la navigation de bateaux à moteurs, 2017, https://apelnrn.ca/wp-content/uploads/2020/10/Rapport_Lac-Noir_Revisions_2018.pdf.

[8] Sara Mercier-Blais et Serge Prairie, Projet d’évaluation de l’impact des vagues créées par les bateaux de type wakeboat sur la rive des lacs Memphrémagog et Lovering, 2015, https://vite.memphremagog.org/files/userfiles/files/Centre_de_documents/FR/Rapport-Vagues-Wakeboard-2014.pdf.

[9] Réseau de surveillance volontaire des lacs, Qu’est-ce que l’eutrophisation? https://www.environnement.gouv.qc.ca/Eau/rsvl/methodes.htm#quest.

Par Denise Cloutier, B.A.A., M.Env., vice-présidente de la Coalition Navigation

*Cet article a été publié dans le magazine numérique Automne 2024 de Québec Yachting. Abonnez-vous, c’est GRATUIT!