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26 ÉTÉ 2011 QUÉBEC YACHTING
REPORTAGE
27 QUÉBEC YACHTING ÉTÉ 2011
Le troisième essai sera le cadeau d’un père à son fils en 1984. Le garçon voulait descendre le Saint-Laurent en radeau avec trois copains pour aller rejoindre les grands voiliers de passage pour le 450e anniversaire du premier voyage de Jacques-Cartier. Pierre Boisvert, qui ne voulait pas détruire le rêve de son fils, s’est employé à le modeler pour le rendre un peu plus raisonnable. Après tout, s’attaquer au Saint-Laurent sur un radeau grand comme un balcon, sans même une toilette, relevait d’une certaine témérité... Au terme d’une discussion père-fils habilement menée, le minuscule radeau est devenu un catamaran de 20 pieds sur huit avec une confortable cabine. Pierre Boisvert a dessiné ce petit navire avec affection et a entamé sa construction dans la partie non encore aménagée du sous-sol de sa nouvelle demeure à Laval-Ouest. Les matériaux longeaient les murs et plusieurs parties du bateau étaient déjà terminées lorsque le fiston s’est désisté. La descente du Saint-Laurent n’aurait pas lieu. Les copains s’étaient dégonflés. Pour Pierre Boisvert, il était trop tard et le petit navire devait être terminé. Par mesure de compensation, fiston l’aiderait à compléter le projet et papa garderait le bateau pour la famille. Ce premier catamaran motorisé passera lui aussi par la fenêtre, en pièces détachées. Et il servira d’inspiration au premier navire que Pierre jugera digne d’un
baptême, c’est-à-dire le suivant, l’Aventurier-1 . Les trois autres n’ont jamais eu que des numéros de matricule. Durant les trois années qu’elle l’aura piloté, la stabilité du double-coque a particulièrement plu à Carmen. « Yes, ça, j’aime ça! », a lancé Carmen dès qu’elle eut mis la main sur la barre.
Comment construire un navire en courant les aubaines
Avant d’entamer le travail de construction de
l’Aventurier-1 proprement dit, Pierre Boisvert a évalué tous les matériaux qui pourraient être utilisés pour bâtir la coque. Il a donc avalé une montagne de documentation sur les bateaux de bois, de fibre de verre, de ferrociment et d’acier. L’aluminium ne faisait pas partie de la liste et le choix de Pierre s’est arrêté sur l’acier. Tous les dessins préliminaires avaient été élaborés en fonction d’une coque de ce type.
En vue du début des travaux, le hangar à l’arrière de la maison de Laval-Ouest a été agrandi et un abri de 32 pieds s’est dressé à côté. Les essais sur des soudeuses se sont succédés et le magasinage de l’acier a commencé, et a vite pris fin. Un jeune ingénieur a convaincu Pierre Boisvert que l’aluminium serait un bien meilleur matériau pour construire une coque légère et résistante et c’est donc sur une structure de métal blanc
que le travail de construction a commencé en septembre 1993. Dix tonnes venaient ainsi d’être retranchées au poids du navire. Pierre a essentiellement travaillé seul, sauf lorsque la longueur des pièces à souder commandait une aide. Et encore, pour réussir malgré tout lorsque l’aide ne venait pas, il a lui-même bâti une machine à partir d’un moteur de BBQ équipé d’une chaîne, pour que celle-ci soude ensemble de longues plaques sur la structure d’aluminium. Une fois les deux coques construites, il a encore une fois fallu sortir le projet d’un hangar trop petit. Pierre a scié les deux moitiés et a recommencé à l’extérieur. Lorsque l’ébauche de cabine s’est ajoutée à la base, le projet est devenu si gros et si près des essais qu’il est devenu nécessaire de se rapprocher du fleuve. La structure a ainsi pris le chemin de Sorel-Tracy, où Pierre passera désormais tout son temps libre, week-ends compris jusqu’à sa retraite, et tous les étés ensuite. Pendant huit ans, il a dormi et mangé dans une petite roulotte installée sur le camping de Saint-Ours. C’est sur un terrain prêté par un ami que le géant d’aluminium a commencé à ressembler de plus en plus à un bateau habitable, à mesure de la découverte et de l’achat des matériaux. Nous disons « découverte » parce que presque chaque pièce a été dénichée plutôt que magasinée, parce que presque toutes les parties du bateau sont le résultat d’un démarchage auprès des amis des amis. L’aluminium provient essentiellement de deux fournisseurs qui, coup de chance, avaient le matériel en surplus et cherchaient à s’en débarrasser. Les fenêtres étanches ont été extraites d’autobus urbains Nova Bus qui attendaient la casse dans une cour chez Transcar à Saint-Eustache. L’entreprise les a généreusement vendues pour 50 dollars pièce, un dixième de leur prix d’achat. Les moteurs proviennent de l’ancien bateau de David Molson, de la célèbre famille qu’on connaît. Et ainsi de suite pour les autres pièces. Pourtant, le résultat est magnifique, sans la moindre apparence d’économies excessives ni le moindre bruit étrange...
Investir tout ce qu’on a pour réaliser son rêve
Comment diable un mécanicien aéronautique et une infirmière ont-ils pu financer un tel projet qui, au final, a coûté plus de 300 000 $? La réponse est simple : en utilisant absolument toutes les ressources disponibles et en y ajoutant le crédit. Pour chaque maison achetée et revendue, celle de Ville Saint-Laurent, de Laval-Ouest puis celle de Saint-Eustache, les profits ont été investis dans l’achat des matériaux et de l’équipement.
Toutes les économies y ont aussi passé. On dépensait l’été puis on remboursait l’hiver, à deux, sans chipotage. Un tel projet n’est cependant pas qu’une affaire de sous : tous les congés, toutes les vacances et tous les week-ends ont été sacrifiés pendant 17 ans. Il fallait aussi déneiger coûte que coûte la structure tous les hivers, souvent à répétition, en dégageant d’abord la génératrice.
Lors de la vente de la maison de Saint-Eustache, Carmen a dû vivre pendant plusieurs mois dans la petite roulotte du camping de Saint-Ours avant de pouvoir emménager dans la nouvelle demeure soreloise. Elle et son homme avaient vendu la maison et elle avait changé d’emploi pour se rapprocher du projet. On avait besoin d’elle immédiatement, bien avant qu’elle ne soit prête. Il a d’ailleurs fallu louer trois entrepôts pour attendre cette nouvelle maison : un pour le contenu de la maison, un autre pour les outils et un troisième pour ce que le couple utilisait au quotidien. Même si c’est Pierre qui a construit le navire, Carmen l’a soutenu par tous les moyens.
Signe indéniable de la solidité du couple et de leur solidarité dans cette entreprise : chaque année, depuis dix ans, c’est-à-dire dès que le bateau eut été équipé d’un toit, le 20 août, date anniversaire de leur mariage, les deux amoureux de toujours se retrouvent dans la cabine pour célébrer le grand jour.
Carmen et le catamaran
À l’heure où la voile est à l’honneur, pourquoi avoir choisi de motoriser un catamaran plutôt
que de le munir d’un gréement, d’une voilure? Comme l’Aventurier-1 est destiné à devenir la résidence permanente de Carmen et Pierre, Madame voulait un bateau très stable, avec un roulis de presque rien. Elle ne souhaitait pas vivre au quotidien les mouvements constants du voilier d’antan. L’expérience du dériveur l’avait alerté. Elle refusait de fixer au plancher ou aux murs tout ce qui pourrait bouger. « Pas question que tu m’imposes un voilier : trop de travail, trop de roulis. Le projet que je suis prête à partager avec toi, tu le connais. » Le plaisir du petit catamaran motorisé avait fixé son choix.
Pierre a adapté son rêve à celui de sa compagne et s’est appliqué à créer un bateau qui consommerait le moins de carburant possible et limiterait son empreinte sur l’environnement. Il a donc dessiné deux coques dont le rapport longueur-largeur est de onze pour un, l’équivalent de patins de course, ce qui limite au minimum la friction et permet l’installation de très grosses hélices. D’autre part, les coques sont si hautes que
l’Aventurier-1 peut négocier des vagues de plus de deux mètres sans conséquence. Pas tout à fait l’hydroptère d’Alain Thébault qui vole sur l’eau, mais à l’échelle des investissements et des ressources, la persévérance et le génie de Pierre Boisvert ont abouti à un résultat qui inspire autant l’admiration. Il a ensuite équipé ses coques de puissants moteurs Cummins VT-903M de 14 litres et 300 chevaux, tournant à un maximum de 2700 tours, des engins qu’on trouve, entre autres, sur les navires de la Garde côtière des États-Unis et les véhicules
de combat Bradley. Dans les faits, Pierre maintient sa vitesse de croisière à 10 nœuds (12 milles à l’heure), ce qui limite la révolution des moteurs à 800 tours À cette vitesse, ces engins consomment une quantité de carburant presque homéopathique. Avec des réservoirs pouvant contenir jusqu’à 600 gallons de diesel, l’Aventurier-1 possède une autonomie complète de plus de 100 heures, tout inclus. Les réparations et les changements seront aussi facilités par le mode d’assemblage de ce navire : un tournevis et une paire de pinces suffiraient à peu près pour le démonter et modifier radicalement sa configuration. Tout a été pensé pour simplifier le travail et économiser l’énergie.
Cap sur les Caraïbes
Après des essais très concluants sur le fleuve Saint-Laurent jusqu’à Québec à la fin de l’été dernier, même si la taille du bateau a un peu effrayé les marinas, Pierre Boisvert a remisé le navire pour l’hiver. De son côté, Carmen prépare le déménagement : « On vend la maison de Sorel-Tracy et tout ce qui est superflu. Il faut faire le tri et entreposer ce qu’on veut quand même conserver avant d’emménager sur le bateau pour de bon et prendre la route du sud l’automne prochain, juste avant la fermeture des écluses ». Pierre et Carmen veulent longer la côte américaine via l’Intracoastal Waterway. Pour ce faire, ils ne passeront pas par le lac Champlain, les écluses le long de cette route ne permettant pas le passage d’un navire de la taille de l’Aventurier-1. Le couple devra voguer jusqu’à Kingston pour se rendre au canal Oswego et filer vers le canal Érié afin d’atteindre la côte Est. Objectif : la Floride et les Caraïbes pour y vivre doucement en se promenant d’île en île. Quelques années plus tôt, Pierre Boisvert aurait sans doute vogué sur les océans. Ses années de témérité sont désormais passées et il aspire maintenant à s’inventer un paradis quotidien sous le soleil, au gré des charmes des îles. Ce sera une juste récompense pour l’effort immense qu’il a déployé avec sa compagne afin de mettre au monde un superbe navire. Un navire si beau que même lorsqu’il était inachevé l’an dernier, une société de Vancouver a offert 1 200 000 $ pour l’acheter et le transporter sur la côte du Pacifique où il aurait servi au tourisme. Le couple a évidemment dit non. « Nous ne sommes pas allés au bout de nos ressources pour vendre le résultat avant d’avoir réalisé nos rêves. Quand nous aurons navigué suffisamment longtemps à travers les îles, on verra ». Parions que ce ne sera pas la dernière offre d’achat.
PAR ROBERTO FORTIN
PHOTOS : JEAN BOISVERT ET PIERRE BOISVERT
PAR ROBERTO FORTIN PHOTOS : JEAN BOISVERT ET PIERRE BOISVERT
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